Les CunninLynguists ont été un groupe à contre-courant, l'exception qui confirme la règle. Le duo, puis trio, a représenté le backpack rap dans un Dirty South qui lui était étranger. De manière anachronique, il a perpétué un hip-hop d'Atlanta remontant aux meilleures heures de la Dungeon Family, à rebours des vagues crunk, puis trap, qui ont submergé la ville. Et il a connu un succès relatif à partir de 2006, aux alentours de leur album A Piece Of Strange, au moment même où leur école de rap paraissait sur le déclin.
Si bien qu'au terme de la décennie 2000, le groupe est fermement inscrit dans le paysage rap, qu'il côtoie des gens extérieurs à la veine indie rap à laquelle ses membres ont été associés, et qu'il se joint à la fête quand, à la fin des années 2000, les mixtapes acquièrent un statut inégalé à ce jour.
Strange Journey Volume One est la troisième des CunninLynguists, et la première d'une série qui en comptera deux autres. C'est aussi une mixtape à l'ancienne : un grand bazar, une compilation éclectique d'inédits, de morceaux live (l'excellent "Lynguistics", issu de leur premier album, joué en public à Stockholm), de remixes ("Dance For Me") et de versions augmentées ou réécrites d'anciens titres, comme le très bon "Georgia", où ils sont accompagnés des affiliés à la Dungeon Family Killer Mike et Khujo Goodie, et "K.K.K.Y." aussi, avec Skinny DeVille et Fish Scales de Nappy Roots.
Ce sont des titres où les rappeurs s'expriment seuls, ou convient (voire confient les commandes à) des invités, ceux déjà cités, mais aussi des figures indé comme Mac Lethal et Slug, des proches ou anciens membres du groupe comme Tonedeff et Mr. SOS, et les Suédois de Looptroop Rockers.
Néanmoins, derrière ce grand foutoir, il y a un concept, un thème qui unit ces morceaux bigarrés : celui de la vie en tournée. Des interludes comiques parlent des désagréments de cette existence sur la route, et plusieurs titres détaillent cette expérience. "Don't Leave (When Winter Comes)" et "The Distance" sont des complaintes sur l'éloignement et la vie de famille ratée qu'elle occasionne. "Nothing But Strangeness", au contraire, s'attaque au sujet sur un mode humoristique, relatant des aventures bizarres survenues en marge des concerts. "Never Come Down" et "Hypnotized" traitent de leurs à-côtés que sont la consommation de weed et les groupies. Et sur "Broken Van (Thinking Of You)", les rappeurs s'adressent à leur vieux van comme à leur maîtresse.
Tout cela ne fait pas du premier Strange Journey une sortie aussi cohérente que les albums du trio, mais on y trouve encore les raps fluides de Deacon et Natti, qui passent avec naturel de l'humour à l'introspection, ainsi que les beats aux petits oignons de Kno, à mi-chemin entre mélancolie et légèreté. Cela vaut donc bien plus qu'un intermède récréatif.
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