En 2002, Gene et Terrence Thornton sont les protégés du producteur du moment, Pharrell Williams, alors la moitié des Neptunes. Et leur premier album officiel, Lord Willin', porté par les singles retentissants "Grindin'" et "When The Last Time", est un succès commercial et critique. Bref, à l'aube des années 2000, Malice et Pusha T sont promis à un bel avenir, et l'on attend déjà avec impatience le prochain opus. La poisse, malheureusement, se mêle à leur carrière. En 2004, après une série de mouvements dans l'industrie de la musique, ils se retrouvent sur un nouveau label, Jive, qui ne sait trop comment promouvoir le rap rude de la fratrie.
Le duo entre alors en conflit avec sa maison de disques, ce qui repousse la sortie de leur prochain album. De dépit, en attendant que la situation se dénoue, les deux hommes de Clipse font donc parler d'eux par mixtapes exclusivement. En 2004 et 2005, et puis plus tard en 2008, ils sortent la trilogie prisée des We Got It 4 Cheap, suivant en cela le modèle popularisé peu avant par 50 Cent, Cam'Ron et les autres.
Tout comme ces derniers, ils profitent aussi de ce format pour promouvoir leur propre collectif, le Re-Up Gang, représenté par Ab-Liva et Sandman, deux rappeurs de Philadelphie. La proximité avec la démarche de la G-Unit et de Dipset est d'autant plus marquée que c'est à ces deux ensembles (et surtout au premier), que le second des trois volumes, le plus célébré, chaparde le plus d'instrumentaux.
Sur We Got It 4 Cheap Vol. 2, en effet, le Re-Up Gang ne s'exprime sur aucune musique inédite. Il s'accapare des titres récents (des tubes, mais pas que) de The Game, Tony Yayo, Juelz Santana, Ludacris, T.I., Cassidy et Common. Il rappe aussi sur des compositions plus anciennes d'Outkast, de Ghostface Killah, de Mobb Deep, de Lil' Kim, et de Showbiz and A.G. Côté musique, donc, la prise de risque est limitée : c'est du solide, de l'éprouvé. Côté paroles et raps, toutefois, Pusha T, Malice et leurs compères dynamitent tout.
Clipse est le groupe emblématique du cocaine rap, et cette mixtape ne le démentit pas. La pochette annonce la couleur, blanche, tout comme la consistance, poudreuse. L'art du duo (ou quatuor) est de décliner avec un maximum de styles un thème unique, la drogue, raconté de manière presque clinique, sans excuse, sans arrière-plan social, sans considération morale, sinon avec le final "Ultimate Flow". Sa conception, sa vente, la vie facile que son trafic autorise, tout cela occupe le cœur du propos, dès le saisissant "What's Up".
Ici, comme ailleurs, les frères Thornton font leur la musique empruntée, en l'occurrence celle du "Put You On The Game" conçu par Timbaland pour The Game. Mais Clipse, en vérité, n'a guère besoin d'accompagnements, comme le prouve la redoutable "Re-Up Intro", où le beat minimaliste de Ludacris s'efface presque devant la classe des raps de Malice et Pusha T, où il se résume à un faire-valoir, de même, sur d'autres morceaux, que les voix plus grasses et graves des deux autres (voire celle de Pharrell, présent aux raps à trois reprises), qui apportent aux leurs un effet de contraste.
We Got It 4 Cheap 2, est un manifeste, l'une des pierres angulaires de cette décennie 2000 où les mixtapes vont changer de statut. Contrairement à d'autres, elle n'a cependant pas tout à fait rempli sa mission : préparer le terrain au prochain album des frères, un Hell Hath No Fury aux ventes décevantes, et pourtant, assurément, leur œuvre majeure.
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