Il fallait être attentif jusqu'au bout, en 2014. Vers la mi-décembre, en effet, alors que tous les médias de la Terre avaient déjà révélé leurs sélections de fin d'année pour que les gens puissent faire leurs emplettes de Noël, plusieurs rappeurs importants sortaient leurs derniers projets, mixtapes ou albums. Parmi eux, Starlito, un homme qui, depuis pas mal de temps déjà, privilégie la qualité aux démarches marketing. Le 15 du mois, il proposait lui aussi sa dernière livraison, Black Sheep Don't Grin. Et en effet, il fallait ne pas la louper celle-ci, car elle pourrait bien être l'une des meilleures, à ce jour, du précieux rappeur de Nashville.
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Pas de grosses surprises sur ce disque, pourtant. Starlito continue à creuser la même veine, celle même où il s'est engagé dans sa seconde partie de carrière, et dont il est l'un des représentants les plus éminents : celle du criminel dépressif. La rue est toujours le décor de ses récits, elle en est l'arrière-plan. Mais avec lui, elle n'a plus rien de glamour. Elle est au contraire le théâtre de situations insolubles qui mènent aux frustrations et à l'impasse ("Bad Combination"), de problèmes d'argent qui file entre les doigts et qui suscite des amitiés intéressées ("Meanwhile", avec Don Trip et Young Dolph), de relations amoureuses qui tournent à l'infidélité et au vinaigre ("My Love Lost"). Et quand Starlito semble donner dans les vieilles antiennes sexistes du rap, dénonçant par exemple les femmes vénales ("She Just Want the Money"), il le fait avec autodénigrement, précisant qu'il ne les blâme pas pour leur matérialisme, qu'il est responsable, et faisant aussitôt la même critique à sa propre personne ("I Just Want the Money").
Avec Kevin Gates, ici présent, et qui a sorti lui aussi, le 15 décembre, l'un des projets rap les plus attendus de la fin 2014, Starlito est le plus éminent représentant de ce rap qui s'emploie à exhiber les états d'âme des gangsters, plutôt qu'à jouer au fanfaron. Le rappeur de Nashville, cependant, va plus loin que celui de Baton Rouge. Alors que le premier, parfois, renoue avec les galéjades habituelles au style gangsta, l'autre est plus unilatéralement noir, plus résigné, soulignant sa dépression avec des chants R&B pas maladroits et/ou de guitares plaintives ("Black Sheep don't Grin", "My Story, History", "Mood Swings & Mrs."). Quand l'un enfile les tubes potentiels avec une aisance insolente, l'autre préfère les titres sombres et mélancoliques, où il étire sa voix remplie de peines et de douleurs. Seuls quelques titres se montrent un tant soit peu soutenus "Stop Runnin'" par exemple, et donc "Don't Do It", le duo avec Kevin Gates.
La musique n'en est pas moins bonne, bien au contraire. Mais elle est plus ardue, moins immédiate, plus difficile d'accès. Aussi a-t-on tort, quand on reproche à ce nouveau disque son grand nombre d'invités, la seule vraie critique exprimée à son égard. Ceux-ci, au contraire, sont un atout. A l'image des mixtapes plus ludiques que Starlito a su livrer avec Don Trip, ce sont des respirations nécessaires, des ouvertures bienvenues, au beau milieu de cette formule lourde, névrosée et poisseuse, où Starlito n'a pourtant jamais autant excellé qu'ici, sur Black Sheep Don't Grin, l'un des sommets de sa déjà très conséquente discographie.
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