Et si le véritable inventeur de la mixtape, telle qu'elle existe aujourd'hui, c'était en fait ce bon vieux Master P ? Le rap infréquentable et outrancier qui est maintenant la norme ; les disques remplis à ras-bord de morceaux éclectiques ; la sortie à tire-larigot de projets fabriqués à la chaîne, dans le seul but d'inonder le marché et de faire l'actu : tous ces traits distinctifs de ce que nous appelons "mixtapes" de nos jours, étaient déjà ceux du label de Percy Miller dans les années 90. Elles ressemblent plus aux sorties No Limit d'autrefois, qu'aux mixtapes qui circulaient à la même époque. L'unique différence, c'est la dématérialisation, puisqu'il n'est maintenant plus raisonnable d'espérer faire fortune dans le commerce des disques.
Nulle surprise donc si, en plein milieu des années 2010, Master P se sent comme un poisson dans l'eau. Logique s'il y retrouve une seconde jeunesse. C'est d'ailleurs au tout début de cette nouvelle décennie qu'il est réapparu, contribuant au lancement d'un nouveau label, nommé fort à propos No Limit Forever, une entreprise familiale fondée avec son frère (Silkk the Shocker) et ses fils (Romeo et Valentino). Celle-ci est peu à peu montée en puissance, jusqu'à sortir une salve très conséquente d'albums numériques ou de mixtapes (choisissez le terme qui vous sied) tout au long de 2015, parmi lesquels trois, pas moins (We All We Got en janvier, Hustlin en avril, The Luciano Family en juillet), sont signés Money Mafia, le nouveau groupe que le maître a formé avec Maine Musik, TEC, Ace B et quelques autres acolytes gravitant autour.
La troisième, en particulier, vaut le détour. Produite par Blaqnmild comme les autres, elle offre tout ce qu'il faut : des postures de gangsters, une fougue juvénile communicative, des morceaux trop plein et trop nombreux, dont certains, sautillants, sont taillés pour le club, et une prédilection pour le rendement, plutôt que pour l'originalité. C'est du No Limit, à nouveau, mais totalement réactualisé, qui s'adresse aux faux gangsters des médias sociaux ("Social Media Thuggin") et qui intègre sans accroc les codes du rap moderne : voix à l'Auto-Tune, chanté-rappé, onomatopées ("Feel Special"), ad-libs et slogans répétés ad nauseam.
C'est donc tout à fait frais. Si l'on survit aux 96 minutes de cet interminable The Luciano Family, on y découvre (outre des blagues comme "Gunz", nouveau détournement du "I Need Love" de LL Cool J par Master P, après "I Need Dubs" dix ans plus tôt), une super ballade pour mauvais garçon ("Street Corner"), du bounce transplanté à l'époque de Migos ("Fondu"), des contributions jouissives de fureur de la rappeuse maison, She Money ("Bout Like Dat", "Pressure"), un morceau mélancolique cliché, mais qui marche quand même ("Where Were You"), un délice mélodique ("Homicide"), ou du blues pour parias ("Feel Special"). Comme les autres, ce Money Mafia regorge de titres fort sympathiques, et s'écoute sans limite. Forever.
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