Si vous trainez sur ces pages, à moins d'un étonnant phénomène paranormal, vous connaissez le premier ouvrage que l'éditeur Le Mot et le Reste a consacré au rap, Rap, Hip-Hop, 30 années en 150 albums. Et comme vous connaissez ce livre, vous savez qu'il aborde le sujet d'un point de vue international, dans son contexte américain d'origine. Le rap français n'y est donc abordé qu'à la mesure de son importance en dehors de la francophonie : de manière marginale. Seulement voilà, le rap, en France, c'est le rap français. Je n'ai qu'à comparer les statistiques de fréquentation moyennes des critiques publiées sur Fake For Real, à celles de mon seul papier en deux ans dédié à un disque issu de notre pays (Que La Famille, de PNL), pour être ramené à cette cruelle réalité. Il fallait donc au premier livre, impérativement, un pendant entièrement consacré au rap d'ici. Et cette tâche, c'est Mehdi Maizi, journaliste à l'ABCDR du son, qui s'en est acquitté, en 2015.
Le Mot et le Reste :: 2015 :: acheter ce livre
On connaît maintenant le format des anthologies musicales dont Le Mot et le Reste s'est fait une spécialité. Il y a d'abord, généralement, une présentation du sujet, plus ou moins longue et fouillée. Vient ensuite une sélection d'œuvres, une centaine le plus souvent, toutes commentées par l'auteur. Cependant, en fonction de la façon dont cette structure est déclinée, les livres peuvent avoir des intérêts différents. Chez certains, c'est l'introduction qui importe, c'est la perspective, parfois même la thèse, apportée par les auteurs quand ils abordent leur objet d'étude. Chez d'autres, c'est la sélection même, c'est le choix des disques traités, et ce qu'ils disent sur le goût de leurs auteurs. Enfin, ça peut être le contenu même des chroniques, la manière avec laquelle est décrite et analysée chaque œuvre. Or, avec Mehdi Maizi, nous sommes plutôt dans la dernière configuration.
Le texte introductif de Rap Français fait le job. Ni trop long, ni trop court (environ 20 pages), écrit sans chichi ni emphase, avec un style simple, fluide, qui s'écoule avec aise, il remplit son rôle, lequel est de retracer à grands traits l'histoire de l'implantation puis de la croissance, en France (et parfois en Belgique), d'un genre né aux Etats-Unis. Il n'y a aucun mot de trop, et l'auteur rappelle fort à propos le malentendu fondamental qui est, pour les plus positifs, à l'origine de la grande spécificité du rap français, et pour ses détracteurs, la cause même de ses limites :
Reléguée au second plan, la musique n'intéresse pas les observateurs qui, pays de chanteurs à textes oblige, se focalisent sur la plume des rappeurs. Cette vision, encore très prégnante aujourd'hui, contribue à entretenir une vraie méconnaissance du rap chez une grande partie du public français. Rapidement, l'idée que le rappeur doit être dans la dénonciation fait son nid dans l'inconscient collectif tandis que l'aspect de recherche et d'innovation musicale est mis de côté (pp. 13-14).
La sélection, elle aussi, répond aux attentes, en proposant un échantillon très représentatif des différentes tendances et phases du rap français. On va de la fondatrice compilation Rapattitude (1990) à la sensation de 2013, l'Or Noir de l'impressionnant Kaaris, en passant par les incontournables Assassin, NTM, IAM, puis Booba et Rohff. Tous les classiques sont ici. Seuls manquent ceux des rappeurs qui en ont sorti plusieurs, Mehdi Maizi ayant choisi, comme souvent dans cette collection, de privilégier un album par artiste. C'est l'intérêt du livre, mais ça en est aussi presque la limite : la majorité de ces disques sont assez attendus, au point que même votre serviteur, plutôt allergique au rap français, en connaît la plupart (et en a même un certain nombre en bonne et due forme, sous format CD). Clairement, Mehdi Maizi a visé les néophytes. Il a cherché à être pédagogue.
Et en termes de pédagogie, il sait y faire, il est même très bon. C'est visible dans ce qu'il a le mieux réussi : ses présentations d'album. Ce sont vraiment par elles que l'ouvrage se distingue. Celles-ci, tout d'abord, se montrent équilibrées. En quelques mots, elles parviennent à situer l'artiste, à pointer les particularités de son œuvre, et à partager un avis. Ensuite, elles sont justes. On retrouve ici le rap français tel qu'on le connait, sans mensonges ni fards, avec ses imperfections et maladresses, présentes jusque sur ses plus grands albums. Mehdi Maizi les admet, il les souligne. Mais en même temps, il sait aussi vanter les forces de ces disques.
Ceux qui connaissent Mehdi Maizi par ses contributions à l'ABCDR du Son, par ses interviews et par les émissions qu'il anime, savent comment il est : empathique, bienveillant, à l'écoute. Cela se ressent aussi dans ses textes. Même quand il remarque une insuffisance, ou une imperfection, c'est relevé sans fiel, sans méchanceté, sans cet aspect sentencieux, si tentant quand on s'adonne au métier ou au hobby de critique. Et son approche du rap français est sans doute la bonne.
Il faut le prendre pour ce qu'il est, sans lui demander l'impossible, sans attente déraisonnée à son égard. Il faut accepter qu'il ne sera sans doute jamais l'égal de son modèle américain, même si rien n'est exclu (le rock, à l'origine, n'était pas un genre anglais), même si certaines de ses œuvres ont été de qualité internationale (certains disques d'IAM, par exemple). Il faut admettre tout cela, mais en même temps, comme Mehdi Maizi, reconnaître l'existence de talent et de matière, ici et là, et ne pas juger le rap français au nom d'une comparaison perdue d'avance.
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