Les CunninLynguists ont été une exception. Ils ont été l'un des rares groupes issus de la vague hip-hop underground de l'an 2000 à s'être assuré progressivement et durablement une vraie place sur la scène rap. Ces rappeurs du Kentucky n'en ont cependant pas moins suivi, en partie, la même pente (ascendante ou descendante, ça dépend des points de vue) que beaucoup de leurs pairs plus méconnus : à l'origine un groupe plutôt revivaliste, souhaitant préserver un hip-hop bâti sur les boucles et les samples comme dans les années 90, avec en plus un bon esprit issu de la décennie précédente, ils ont fini par se faire plus contemplatifs, habillant des paroles plus introspectives d'une musique cinématique, parfois riche en guitares.
Kno, le beatmaker du groupe, l'un de ses fondateurs, son seul Blanc, et pour beaucoup son principal moteur, l'a illustré en 2010 avec son premier album solo, Death Is Silent, un disque se penchant sur les sujets éminemment sérieux de la mort et de la vie. Pour la petite histoire, ce disque avait vu sa sortie reportée, parce qu'on lui avait attribué par erreur le même code barre que le Swag Flu de Soulja Boy. Difficile d'imaginer plus ironique, le CunninLynguist proposant une formule aux antipodes absolues de celle de l'auteur du mémorable "Crank That".
Kno, en effet, y adoptait une posture méditative, renforcée par une musique dans les mêmes tons, atmosphérique, soulignée ici ou là par des nappes de synthé ("If You Cry", le splendide "They Told Me"), des pleurs ("Death Is Silent") ou les chants évaporés d'une femme, comme dans le cas de "Loneliness", de "Not at the End" et du très beau "La Petite Mort", l'un des titres clippés de l'album (en compagnie de l'actrice porno Mia Rose). Death Is Silent était aussi parcouru de samples aux saveurs douces-amères d'une psych folk estampillée années 70, comme avec le chant et la flûte de l'autre morceau mis en images, "Graveyard", comme aussi avec ces "Rhythm of The Rain", "Spread You Wings", "Smile" et "When I Was Young" remplis de guitares, acoustiques ou électriques. Les productions étaient si travaillées, elles étaient tant au cœur du travail de Kno, qu'il avait choisi d'augmenter l'album de leurs versions instrumentales.
Certains ont parfois critiqué les raps de Kno. Bon producteur, celui-ci n'a pas toujours été reconnu pour ses talents au micro, et il était aisément éclipsé par ses complices Deacon (sur "Loneliness" et "Spread You Wings") et Natti (sur "If You Cry"), quand ceux-ci apparaissaient. Ce n'est pas tant son aisance verbale qui posait problème : les textes étaient là, les assonances et les allitérations aussi, comme en témoigne "Graveyard". Ce ne sont pas la richesse des propos, notre homme, rappeur instruit, citant par exemple le philosophe indien Jiddu Krishnamurti. Le souci, c'est plutôt sa faible présence, sa voix faiblarde de Blanc. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'il a cessé de rapper, au sein de CunninLynguists. Mais ici, son rap peu charismatique s'accordait au mieux aux couleurs noires et blanches de ce disque délicieusement dépressif.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/2194