Il s'en est passé du temps, avant que ne sorte enfin un nouvel album de Ceschi, avant qu'il ne nous livre ce Broken Bone Ballads, produit cette fois par un autre activiste infatigable de l'indie rap, Factor (désormais Factor Chandelier). Cinq années se sont écoulées, très exactement, cinq années marquées, pour le rappeur et instrumentiste de New Haven, par le développement constant de son label, Fake Four, par un bref séjour en prison pour une sombre histoire de trafic de beuh, et par tout le tintouin juridico-légal engagé pour régler cette sale affaire.
Cinq années, c'est long. Et pourtant, Broken Bone Ballads ne surprendra pas ceux qui avaient déjà goûté au très bon The One Man Band Broke Up, en 2010. Ceschi, c'est sa marque de fabrique, celle de son label, et plus généralement de cette scène post-indé dont il est aujourd'hui au centre : c'est du rap délivré à toute allure, à la mode Project Blowed, sur des instrus bardées de samples comme il y a 15 ou 20 ans, mais mâtiné de sonorités folk et indie rock, par un homme qui maîtrise autant les arcanes du emceeing que celles de la guitare.
Parfois, Ceschi se lance dans des titres principalement rappés, comme "Forever 33" et "Beauty for Bosses". D'autres fois, le chant domine, comme avec les beaux "Bite Through Stone" et "Elm City Ballad", ou ce "One Hundred Dragonflies", dans le registre de la pop baroque des sixties. Ou encore, à l'image du titre d'ouverture "Choke Parade", les couplets sont du pur rap, récité sur des boucles, mais les refrains peuvent être chantés sur un festival de cuivres luxuriants, avec des mélodies mélancoliques réminiscentes de Paul McCartney. Cette formule mixte, le rappeur et chanteur l'emploie souvent, avec succès, du titre précité à "Rowing In Circles".
Sur Broken Bone Ballads, comme l'indique son titre (une allusion biographique à un bras de fer qui avait mal tourné), Ceschi nous livre, en plus de piques éparses contre l'asservissement économique, un témoignage de ses frustrations et de ses luttes quotidiennes d'artiste raté. Il fait part de son dépit artistique, lequel était déjà le thème principal de The One Man Band Broke Up. Mais cette fois, il ne se cache plus derrière un personnage. Il s'agit bien de lui. Il force plus encore sur la confession, se livrant sur sa famille, sur ses expériences, ou sur sa ville de New Haven. Il se met d'ailleurs tellement à nu, il est si proche du journal intime, que ça en est presque embarrassant, comme avec cet hommage aux disparus qu'est "Beyond the End".
Cependant, le plus souvent, Ceschi convainc autant qu'avec ses deux derniers albums. Il utilise encore cette recette éprouvée qui consiste à partager ses peines sur un air léger et entrainant, comme avec le refrain aux relents folkloriques de "Say Something". Le rappeur convie aussi ce qu'il faut d'invités, son frère David, iCON the MIC King et Shoshin sur "Kurzweil", et Sage Francis sur l'envolée finale de "Barely Alive", deux titres complémentaires, proclamant tour à tour que la vie est rude et ingrate, mais qu'elle vaut néanmoins la peine d'être vécue. Les idées sont là, nombreuses, comme avec l'accordéon de cet "Elm City Ballad" que le rappeur dédie au lieu où il a grandi. Et l'alchimie avec Factor, cette façon que les deux compères ont de mêler sans accroc boucles, samples et passages organiques, opère au mieux, offrant à Ceschi l'occasion d'enrichir encore, avec Broken Bone Ballads, une discographie déjà très appréciable.
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