OK. En 1996, avec les sons bizarres et le rap futuriste qui avaient fait la force de Dr. Octagon, Kool Keith avait largement annoncé, voire devancé, le mouvement indé. Mais si on s'imaginait qu'il allait l'accompagner aussi dans ses envies de respectabilité, et dans cette phase rap "conscient" qui allait battre son plein à la fin des années 90, on se fourrait le doigt dans l'œil. L'ex Ultramagnetic MCs, au contraire, consacrait l'album d'après, le premier sorti sous son nom, au thème le plus incorrect qui soit, le seul qui vaille : le sexe, le sexe, et encore le sexe.
Le sujet avait été largement défloré, si j'ose dire, avec les récits précédents du Gynécologue de l'Espace. Mais là, avec Sex Style ce n'était quasiment plus que ça, son auteur qualifiant même ce disque de pornocore. Tantôt maquereau, tantôt malade sexuel, Kool Keith y allait franco, repoussant toutes les limites du dirty rap. Avec sa verve habituelle, il passait en revue toutes les pratiques et toutes les perversités possibles. Pour lui, rien de plus barbant que des filles sages et fidèles ("Regular Girl"). Alors, il usait de son talent naturel pour la métaphore pour parler de pornstars, de masturbation, de turluttes, de sexe anal et, beaucoup, d'urolagnie.
Le rappeur, cependant, avait une autre de ses grandes obsessions à partager sur Sex Style : son mépris pour les wack MCs, notamment ceux de sa ville de New-York, qu'il avait fuis comme la peste pour s'installer en Californie, et qu'il accusait de pomper son style ("Plastic World"). Mais eux aussi, il en parlait sur le mode pornographique. Ils étaient traités de pédales, dans un pur numéro d'homophobie rapologique ("Keep It Real ... Represent"). Voire, carrément, de transsexuels. "Vous représentez quoi ? Mes couilles !", Kool Keith leur lançait-il. Et pour marquer plus encore son dédain, il déclarait plusieurs fois leur pisser joyeusement dessus.
Sur Sex Style, même quand on parlait d'autre chose, le sujet central restait à portée de vue. Et pour renforcer ce côté monolithique il y avait, outre trois instrus concoctées par T.R. Love des Ultramagnetic MCs, la production toute aussi constante de Kutmasta Kurt. Ce dernier, certes, n'était pas aussi aventureux que The Automator. Contrairement aux beats de Dr. Octagon, ceux-là étaient des boucles simples, et ils s'écartaient peu de l'ordinaire boom bap. Néanmoins, ils étaient bons, solides, et à l'épreuve des délires pervers de notre MC, le vrai weirdo du rap, son visionnaire, celui qui, bien avant que les Odd Future et consorts ne s'y mettent, a concilié comme personne le scandaleux et le bizarre : j'ai nommé l'éternellement cool, Keith Thornton.
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