Si Kevin Gates a été l'un des hommes en vue de 2013, ce n'est pas seulement parce qu'il a été l'auteur de l'une des toutes meilleures sorties de l'année rap, The Luca Brasi Story. C'est aussi parce qu'il a doublé ce petit bijou d'un street album, Stranger than Fiction, rendu disponible à peine cinq mois plus tard, en juillet, et qui, sans être tout à fait du même niveau, confirmait le progrès considérable du rappeur de Baton Rouge depuis les mixtapes qu'il avait proposées les années précédentes, et attestait une fois encore qu'il était entré dans la cour des grands.
Celle-ci lui ayant réussi, Kevin Gates déployait sur cette sortie la même formule que sur la mixtape précédente, soit un rap de l'après trap, dual et ambigu, capable d'une misogynie crasse et insolente (proclamée par exemple avec un grand spécialiste du genre, Juicy J, sur l'élégant "Thinking with My Dick"), comme d'instants de grande fragilité. C'étaient des histoires ordinaires de violence, d'argent et de drogue, mais aussi des moments de réflexion et de sagesse, où le rappeur témoignait des dangers et des impasses de la rue, où il rendait compte de ses trahisons et de ses amitiés impossibles, comme avec "4:30AM", le titre central de ce projet, qui relatait des mésaventures survenues dans les heures indues de la nuit.
Le phrasé même de Kevin Gates semblait traduire cette équivoque, passant de raps francs et massifs déclamée d'une voix lourde et abîmée, à des marmonnements douloureux dans le style de Starlito (d'ailleurs invité sur "MYB"), puis à des chantonnements accrocheurs (le très bon "Don’t Know What to Call It") ou à des cris désespérés ("Smiling Faces", un autre grand moment). Il passait même au ton de la conversation à la fin de "Die Bout It", un autre titre marqué par son phrasé plastique et changeant. Les sons suivaient ces variations, pouvant être tout aussi bien des hymnes blindés de synthétiseurs scintillants, à la manière de "Get Em", "Patrick Swazy" et "Snake Nigga", avec Migos (un titre qu'on jurerait issu de la mixtape de ces derniers), que des plages plus contemplatives, frisant même le cloud rap avec "4:30AM".
Présenté comme un album, Stranger than Fiction en avait l'apparence, trouvant un juste compromis entre diversité et constance, et dévoilant un style arrivé à maturité, celui du trapper introspectif. Il souffrait d'un seul défaut, celui d'être apparu à la suite d'un Luca Brasi où Kevin Gates avait déjà proposé la même chose, mais en plus long, en plus riche et en plus accompli.
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