"Paul McCartney et John Lennon n'ont plus jamais rien fait d'aussi grand que les Beatles. Mais ils ont sorti quelques trucs sympas à eux". Ainsi s'est exprimé André 3000 à l'occasion d'une interview pour le magazine Rolling Stone, en 2004. Son groupe OutKast, en effet, a souvent été comparé aux Fab Four pour sa capacité à repousser les frontières de son genre de prédilection, pour l'aisance avec laquelle il s'est renouvelé avec chaque album, pour ses morceaux audacieux, bizarres et néanmoins très accessibles. Et maintenant qu'on l'interrogeait sur une séparation possible du duo d'Atlanta, le rappeur déclarait qu'il imaginait bien, pour lui comme pour Big Boi, une carrière comparable à celle des deux membres principaux des Beatles.

BIG BOI - Sir Lucious Left Foot: The Son of Chico Dusty

Il a vu juste. En 2010, après une longue attente liée au conflit avec son label précédent, Jive Records, Big Boi est le premier à confirmer les dires de son compère avec un album, son premier en solo (si l'on exclut le cas spécial de Speakerboxxx en 2003), Sir Lucious Left Foot: The Son of Chico Dusty, qui soutient la comparaison avec les chefs d'œuvre passés d'OutKast. On y retrouve cette même musique, produite en partie par Organized Noize, caractérisée par un rap ultra-rapide, par d'exquises incongruités, et capable de mordre sur tous les genres musicaux possibles et imaginables : funk bien sûr ("Feel Me"), pop rock ("Follow Us"), electro robotique ("Shutterbugg" et "You Ain't No DJ"), chœurs façon Armée Rouge ("General Patton"), beats synthétiques atmosphériques ("Hustle Blood", curieusement produit par Lil Jon) ou virevoltants ("Night Night"), et quelque chose entre glitch et drum'n'bass ("Fo Yo Sorrows").

Chico Dusty, c'est une musique toujours créative qui, comme au temps d'OutKast, opère des mélanges osés et improbables, comme avec la sourde guitare rock et les percussions tribales de "Tangerine", comme encore avec les voix cajoleuses et les scratches énervés de "Back Up Plan". Cela frise en permanence la surcharge, et pourtant ça n'est rien d'autre que délicieux. C'est aussi très sucré avec ces chœurs généreux, ceux de Sleepy Brown et Joi sur "Turns Me On", ou de Sam Chris sur "The Train, Pt. 2", et tout plein de chants et de refrains imparables, entonnés à la mode des années 50 ("Turns Me On"), sur celui de l'emo rock (avec Vonnegutt sur "Follow Us") ou de manière nettement plus soyeuse (grâce à Janelle Monáe sur "Be Still").

C'était tellement à la hauteur d'OutKast, que Big Boi y prend presque sa revanche. Souvent, celui-ci a été considéré comme le rappeur normal du groupe, comme sa caution street, comme le plus fidèle aux canons du hip-hop. Et de fait, niveau raps, le général Antwan Patton apporte aux puristes tout ce qu'ils désirent. Ses textes, passant du coq à l'âne (avec une prédilection pour le sexe, confer "Tangerine"), sont avant tout un prétexte pour faire preuve de présence verbale. C'est son show, les invités, certes nombreux (T.I., Gucci Mane, Yelawolf, B.O.B., Too $hort, et même George Clinton) n'intervenant souvent que comme appoint, ou seulement sur les refrains. Mais il prouve aussi qu'en matière de musique fantasque et hallucinée, il n'a en vérité rien à envier à André 3000, un rappeur souvent jugé comme le plus visionnaire du duo.

Mais ce dernier l'a bien dit. Lennon et McCartney ont tous deux sorti de grands disques après les Beatles. On attend maintenant qu'André donne raison lui aussi à cette comparaison en faisant aussi fort que son ancien acolyte sur ce Sir Lucious Left Foot qui, de l'accrocheur "Daddy Fat Sax" au tout aussi irrésistible "Back Up Plan", n'est constitué quasiment que de tubes.

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