La sortie l'an passé de Jesus Malverde, l'une des meilleures mixtapes de 2013, a placé A-Wax sur nos écrans radar. L'homme de Pittsburg, Californie, est pourtant loin d'être un nouveau-venu. En se penchant plus attentivement sur son cas (une tâche ardue, compte-tenu d'une couverture médiatique quasi nulle), on a pu réaliser qu'il était actif depuis longtemps sur la Baie de San Francisco, et que, depuis le début des années 2000, il avait accumulé les sorties. S'il y a encore une justice en ce monde, la toute dernière d'entre elles, Pullin' Strings, devrait cependant être l'occasion pour le rappeur de bénéficier enfin d'une reconnaissance méritée. Car ce projet récent, un album en bonne et due forme, n'est rien d'autre qu'exceptionnel.
A-Wax aime les concepts. Avec Jesus Malverde, il avait centré sa mixtape sur le personnage du même nom, un bandit mexicain célébré comme le saint-patron des narcotrafiquants. Avec Pullin' Strings, c'est un autre fil conducteur qu'il choisit pour faire de l'album un tout cohérent. Comme le titre l'indique subrepticement ("tirer les ficelles", mais "string" signifie aussi "corde"), il a demandé à ses producteurs (une dizaine, presque tous de parfaits inconnus) de construire plusieurs de ses beats à partir de sons de guitare. Il faut le savoir, toutefois, pour le réaliser, tant ceux-ci sont divers, discrets, et mêlés aux bruits des synthétiseurs. Sans rapport aucun avec les formes de rap à guitares auxquels nous avons été habitués, metal rap ou folk rap, ils n'en sont que plus exceptionnels, comme en témoigne le splendide "They Don't Know".
A l'image de ce dernier, ce sont des titres globalement calmes et posés qu'A-Wax et ses collaborateurs ont proposé ici. Même si des thèmes identiques sont abordés, que la drogue y est omniprésente, et qu'A-Wax y fait preuve d'une rancoeur et d'un fiel misogynes ("Utilities", "Maury Dance"), ce nouveau disque n'a rien du caractère rentre-dedans et de la formule trap music qui caractérisait Jesus Malverde. Il y a bien quelques moments qui approchent ce registre, comme "Trap Dere", ou "Jetsons". Mais sur la plupart des titres, on chasse plutôt sur les terres du très contemplatif cloud rap, comme avec les chants féminins vaporeux de l'introductif "40 dollars", ou plus tard, comme avec l'excessivement atmosphérique "Mozart".
Contrairement à la mixtape d'avant, encore, il n'y a aucun invité sur les 20 titres de ce long opus. Et ce n'est pas plus mal, car Pullin' Strings se montre ainsi plus original, et plus personnel. On y navigue au gré des états d'âmes d'A-Wax, lequel se montre souvent défaitiste, pessimiste, en berne, comme sur "Let It Go", cet "Only Pray" qui souligne l'inanité et l'hypocrisie des appels à Dieu, ce "Trainwreck" aux jolies cordes, une sorte de blues du drogué, et ce "Be Alone" en forme de ras-le-bol et de claquement de porte. En supplément des beats, ce côté "gangster fatigué" apporte de la constance et de la consistance à Pullin' Strings, un album sans morceau en trop, bon de bout en bout. Si certains souhaitent comprendre à quoi pourrait bien ressembler un grand disque de rap en 2014, ils n'ont plus à chercher : Pullin' Strings est celui-ci.
Merci pour ce coup de projecteur élogieux sur cet excellent album, peut-être le meilleur de l'année. Il aurait pu être un chef-d’œuvre avec 3 ou 4 titres en moins à mon avis. Si je peux me permettre, votre chronique aurait mérité une mention du travail de Drake et Noah '40' Shebib, assurément une inspiration de cet opus remarquable.
Comme je suis d'accord, comme j'aime ce disque.