Contrairement à ce que prétend un vieux cliché, selon lequel le hip-hop serait la voix du ghetto, le rap politique n'a jamais été dominant. Et aujourd'hui encore moins qu'hier, à l'heure du triomphe public, voire critique, de l'ignorant rap le plus extrême. Régulièrement, pourtant, de nouveaux rappeurs engagés émergent, perpétuant la tradition des Public Enemy, Paris, Dead Prez et consorts. Tout récemment Thurzday (ou plus simplement Thurz) a été l'un d'eux, avec un premier album solo au titre sans ambages : L.A. Riot.
Avant cette aventure, celui dont le vrai nom est Yannick Koffi s'est distingué au sein de U-N-I, avec son compère Y-O. Le duo d'Inglewood, dans la métropole de Los Angeles, a donné dans un rap coloré et léger. Il a dédié un single, "Fat Girl", à leur passion pour les filles rondes, et fait d'un autre, "Beautiful Day", un pur produit de rap doux et ensoleillé.
Oui, mais tout cela, c'était avant. Sur le titre "Prayer", Thurz confirme clairement qu'U-N-I est bel et bien dissous. Et à présent, il se consacre à un rap noir, sérieux, incendiaire, rempli de paroles abrasives soutenues par des guitares enragées, dans un registre voisin de ce que livraient le Ice-T hardcore et Rage Against The Machine dans la décennie 90.
Les années 90, Thurz y revient dans la forme, mais aussi dans le contenu. C'est vers elles que nous ramènent les textes de cet album-concept célébrant le vingtième anniversaire de l'agression de Rodney King par des policiers, un événement dont l'impunité avait déclenché les émeutes urbaines de 1992, à Los Angeles, à l'époque même où le gangsta rap californien battait son plein. Le rappeur n'était alors qu'un enfant, mais le souvenir l'a marqué, manifestement.
Ainsi signe-t-il un titre, "Rodney King", qui raconte dans le détail le passage à tabac de l'homme en question. Ailleurs, sur "Los Angeles", il en mentionne les conséquences, les émeutes de l'année suivante, accompagnant certains titres des témoignages de gens ayant vécu cette période troublée. Sur "Two Clips", il nous parle des gangs locaux, les Bloods et les Crips, un grand classique de l'imaginaire rap de l'époque.
L.A. Riot compte aussi une plage nommée "Nigga", qui s'interroge sur l'usage du mot "nègre", une autre, "The Killers", où il nous dépeint le ghetto, et une autre encore, "Riot", très réussie, où il décrit l'apocalypse d'une insurrection urbaine, avec Black Thought des Roots. Enfin, tout comme N.W.A. bien longtemps avant lui, il proclame "Fuck The Police".
La colère seule ne faisant pas tout, Thurz a aussi soigné ses beats. Grâce à plusieurs producteurs dont Ro Blvd, le vieux compagnon d'U-N-I, et DJ Khalil pour citer le plus connu, il donne à ses titres une tonalité organique. Il y a les guitares susmentionnées, sur "Molotov Cocktail", "Fuck The Police" et "Niggas", soutenues ou non par des batteries survoltées. Mais le rappeur recourt aussi à des sons plus suaves sur "Hell’s Angel" et "Big Ball", à un orgue emphatique sur "Riot", à des nappes sur "Manifest Outro", à des chœurs gospel inspirés sur "Prayer", à de l'électronique sur "Dope", à un piano gambadeur sur "Colors", puis sur "The Killers", un titre sublimé par la voix joliment pop de la chanteuse Jazzy.
Toute cette palette de sons apporte une richesse stylistique et musicale à L.A. Riot, et fait de cet album bien autre chose qu'une resucée des routines traditionnelles du rap engagé.
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