Fuzati n'était donc pas mort. Le rappeur masqué le précise d'entrée sur "Vieille Branche" : le suicide qu'il mettait en scène à la fin de Vive la Vie, son album précédent, a foiré. S'il n'est presque pas réapparu depuis, c'est qu'il lui a fallu huit années de plus pour trouver de nouvelles raisons de détester les gens. Huit années pour passer du statut de post-adolescent à celui d'adulte. Huit années pour faire le plein de nouvelles frustrations, et pour les partager avec nous, avec une bile, une misanthropie et une verve inchangées, toujours aussi délicieusement corrosives.
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Le rappeur a grandi, donc. Il n'est plus cet étudiant éconduit qui courait désespérément après Anne-Charlotte. Au contraire, les femmes, maintenant, il en a eu son soûl. Ne croyant plus qu'à l'amour physique - et encore, sans enthousiasme - elles le débectent ("Destin d'Hymen"), ou bien elles l'indiffèrent ("L'Animal"). Il ne partage en rien ni leur romantisme, ni leurs désirs d'enfant.
Ces enfants, justement, parvenu à l'âge où beaucoup deviennent pères, Fuzati n'en veut pas, et il compte bien privilégier le sexe anal et l'éjaculation faciale pour éviter qu'un tel accident ne se produise. Il ne voit aucun intérêt à reproduire la chose superflue qu'était sa propre vie, pas plus qu'il n'est prêt à élever les mômes des autres, issus d'une famille recomposée ou conçus dans son dos ("Non-Père").
Ah, Fuzati a un emploi, aussi, et il nous parle du monde du travail. Et sur ce plan là non plus, ce n'est pas la joie, le rappeur nous décrivant un quotidien au bureau fait de faux-semblants, de collègues abrutis, de réunions inutiles et de salaires indigents ("L'Indien"). Et en dehors non plus, ce n'est pas Byzance ("Carte Postale"). Tout n'est qu'ennui, désagrément et insgnifiance, et conduit inexorablement notre homme vers un malaise existentiel généralisé ("Encore Merci", "Au Commencement") dont le seul remède est, comme l'indique le titre, la fin pure et simple de l'espèce humaine ("La Fin de l'Espèce", "Jeu de Massacre").
Les textes, ici, sont l'essentiel, et ils sont délectables. Pour autant, ils n'ont jamais été le seul attrait chez le Klub des Loosers. Quoiqu'il en dise, Fuzati donne toujours plus dans le rap que dans la chanson française, comme le prouvent son goût prononcé pour la punchline, un phrasé plus assuré que par le passé, quelques scratches, et des beats qui ne sont pas que fonctionnels. Conçue avec l'aide de DJ dEtEcT, et bâtie sur des samples aux sonorités variété ou rock 70's, la musique assure plus que jamais, sur de petites merveilles comme "Volutes", "L'Animal", "Encore Merci", "Non-Père". Elle est même supérieure à celle de Vive La Vie.
Comme quoi, si en vieillissant, le Klub des Loosers ne trouve toujours aucun goût à son existence, le talent, lui, reste entier. Vivement la décennie suivante, que la crise de la quarantaine offre à Fuzati de nouvelles affres, qu'elle renouvelle ses raisons de détester ses semblables – et de les contenter avec ses disques.
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