Drôle d'ouvrage que celui-ci, consacré à l'un de personnages les plus hauts en couleur de la grande épopée du rap, Marion "Suge" Knight. S'il retrace tout le parcours du très controversé patron de Death Row Records, de ses débuts en tant que garde du corps affilié au gang des Bloods, à sa sortie de prison en 2001, en passant bien sûr par les années de gloire où il a contribué au succès de rappeurs aussi cruciaux que Dr. Dre, Snoop Dogg et 2Pac, ce livre ressemble bien plus à une compilation de textes distincts et répétitifs, qu'à une véritable biographie.
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Pour ajouter à la confusion, la réédition de ce livre de Jake Brown, publié en 2001 à l'origine, commence par un long article qui raconte les événements d'après : le retour raté de Death Row dans les années 2000, ce come-back contrarié par les nouveaux et nombreux déboires judiciaires de Suge Knight ; et, in fine, la faillite de ce qui aura été le label le plus emblématique du gangsta rap et du g-funk.
Tous ces textes compilés par Jake Brown sont d'autant plus perturbants qu'ils sont contradictoires, que le point de vue sur le personnage change d'une page à l'autre. Tantôt, rien n'est caché de sa brutalité, de ses méthodes troubles, de ses amitiés douteuses, de son caractère violent et manipulatoire. Et d'autres fois, c'est une entreprise de réhabilitation qui est menée, avec une naïveté confondante, les larmes de crocodile versées par l'individu lors de ses procès étant prises pour argent comptant, les sommes investies par lui dans le ghetto étant considérées comme la preuve de son dévouement désintéressé à la cause afro-américaine.
Ce livre, donc, est naïf, mal écrit, mal structuré, il manque de constance dans les idées, dans les thèses et dans l'argumentaire. Aussi, autant être prévenu, il ne traite absolument pas de l'aspect musical et esthétique de Death Row, le co-fondateur du label, Dr. Dre, n'apparaissant qu'épisodiquement dans ce livre, les albums The Chronic, Doggystyle et All Eyez on Me étant surtout cités pour leurs chiffres de vente. Il est assez fouillé, cependant, pour qu'au bout du compte, on puisse se faire une idée claire de qui était (ou de qui est, car après tout, il n'est pas mort) l'homme d'affaires qui a symbolisé l'ère du rap gangsta californien.
Quels que soient les défauts de Suge Knight, un homme dont les nombreuses condamnations ne doivent rien au hasard, et dont les fonds ont été acquis très vraisemblablement par le racket, l'extorsion et le recyclage d'argent sale, on découvre chez lui une certaine constance morale, via son entière dévotion à l'éthique dévoyée, imposée dans ces sociétés parallèles que sont les gangs.
Rien d'autre que les règles de son gang, les Bloods, n'expliqueraient ses comportements les plus singuliers. Son refus de collaborer avec la police, alors que son meilleur ami et son artiste le plus banquable, 2Pac, vient de se faire tuer, et qu'il a bien failli passer à la casserole lui aussi ; sa fidélité aux membres de son gang, à qui il offre pléthore de postes au sein de Death Row, quand d'autres auraient sans doute été plus qualifiés ; ces avantages en nature versés à ses artistes, à ses proches, voire aux actions caritatives de son quartier d'origine, dans une logique clientéliste, au risque de fausser les comptes de Death Row : toutes ces actions d'apparence irrationnelle auraient été dictées par ce code de l'honneur.
Le seul véritable intérêt de toutes ces gestes, c'est qu'ils ont permis à Death Row de jouer la carte de l'authenticité, de vendre bien plus qu'une simple image de gangster. Les disques ont semblé d'autant plus dangereux et affriolant qu'ils étaient sortis par de véritables bandits, par de vrais thugs. Mais à part ça… Le silence sur l'assassinat de 2Pac a valu à Suge Knight d'être accusé, sans doute à tort, de l'avoir commandité. Ses rodomontades ont incité la justice à lui chercher des poux dans la tête. Ses mauvais comptes ont précipité sa faillite, et le départ d'artistes commercialement porteurs qui estimaient se faire flouer par leur patron. Rien n'était sain chez Death Row Records. Rien n'y était construit pour durer.
Dans cet échec, inutile de blâmer un supposé complot de l'Amérique Blanche inquiète de voir un Noir avancer ses pions dans l'industrie du disque, comme Suge Knight l'a prétendu parfois, comme l'auteur aussi semble le croire par moments. Les autres, ceux qui semblaient un peu plus sages comme le rival Puff Daddy, Jay-Z, et même Dr. Dre, qui quitta bien vite la maison qu'il avait cofondée pour lancer l'aventure Aftermath, parvinrent tous à fonder et à faire perdurer leurs propres empires. Ils sont devenus de vrais entrepreneurs. Alors que Suge Knight, parce qu'il avait été formé pour cela, a été et est resté éternellement un gangster. Il a triomphé en grande partie grâce à cela, et il n'a chuté rien que pour cela.
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