Après s'être imposé à Jay-Z, avoir rejoint son label, dégoté une place sur The Blueprint 3 et sorti les mixtapes remarquées The Warm Up et Friday Night Lights à la fin des années 2000, Jermaine Lamarr Cole, rappeur métis de Caroline du Nord, est attendu au tournant au moment où il sort son premier album. Le succès commercial, naturellement, est au rendez-vous, étiquette Roc Nation aidant. Mais la critique, quoique bienveillante, se montre plutôt tiède à l'égard de ce Cole World: The Sideline Story. Et à cela, rien d'illogique. Car tiède, cet album l'est lui aussi, bel et bien.
Généralement, quand un rappeur décole, il cherche à impressionner son monde. Il est en feu, il est emporté par la fougue de sa jeunesse et il s'efforce, quitte à bâcler un peu le reste de l'album, de délivrer des morceaux énergiques, des tubes, des bangers. Or, on en trouve très peu sur ce disque.
Les seuls moments à pouvoir être qualifiés de tels, ce sont "Mr. Nice Watch", qui se présente comme la tentative dubstep de J. Cole (et qui bénéficie du renfort d'un Jay-Z en forme et tout en double-time), ainsi que le très bon "Lights Please", un morceau déjà connu, issu de la mixtape The Warm Up. "Can't Get Enough", un autre single extrait de l'album, n'a pas ce mordant, avec son sample surprenant mais tranquille de Balla et ses Balladins, le groupe guinéen.
Tous ces titres sont lâchés très vite, dès le début de l'album. Et partout ailleurs, J. Cole, qui en produit l'essentiel (avec l'appui de quelques autres, dont No I.D.), privilégie au contraire un son calme, cinématique, orchestré et luxuriant, avec des violons (l'ardent "Rise and Shine", un "Breakdown" plein de pathos) et une ambiance qui tourne au piano-bar ("Sideline Story" et "In the Morning", autre morceau recyclé, avec un Drake pile dans son élément). Outre les singles, seul l'électronique "Cole World" perturbe ce gentil train-train.
Le ton aussi, se veut mesuré et introspectif. A force de fréquenter Talib Kweli (il a participé à "Just Begun", le single du retour de Reflection Eternal), J. Cole donne, comme lui, dans le rap "conscient". Il se pose en sage quand il simule un dialogue sur l'épineuse question de l'avortement ("Lost Ones"), quand il philosophe sur les attentes déçues entre hommes et femmes ("Nobody's Perfect", avec Missy Elliott), quand il met en scène une discussion père / fils ("Never Told") ou traite de son rapport à ses parents ("Breakdown").
En fait, J. Cole fait plus vieux que son âge. Cole World: The Sideline Story sonne parfois comme l'album d'un vétéran, d'un revenant. Avec ses réflexions sur les problèmes de couple et sur la relation filiale, il porte la marque d'un rap entré dans l'âge adulte. Pour le meilleur, avec cette musique riche et ces réflexions parfois fines. Et pour le pire, avec ce déficit d'énergie qui dénote en ces temps fastes, en e moment où on parle d'un nouvel underground et où les jeunes pousses du rap se montrent sans cesse plus vindicatives.
C'est en cela, et en cela uniquement, que mérite d'être qualifié de tiède cet album grand public tout de même réussi.
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