L'année 1999, celle du début de l'explosion pour le rap indé, a été riche en pépites. Plus on creusait, plus on en découvrait, égrainées par de minuscules labels, voire autoproduites. Parmi elles, figurait Appleseed, une petite sensation Web de huit titres seulement, vendue en format CD-R sur son propre site Internet par un certain Ian Bavitz, alias Aesop Rock. Rappeur et producteur basé à Boston mais originaire de Long Island, qui avait déjà commencé à faire parler de lui deux ans avant avec son premier album, Music for Earthworms.
Les marques de fabrique d'Aesop (il avait ajouté le "Rock" pour ne pas être confondu avec le rappeur Asop, des Living Legends), c'était cette voix grave qui faisait beaucoup plus que son âge, ce phrasé quasi monocorde, et surtout cette manière si caractéristique de sur-articuler des textes sophistiqués, abstraits et intellos. Soutenu aux beats par deux complices, Block (futur Blockhead) et Omega, mais en produisant la plupart (et signant par ailleurs la pochette, avec Neal Usatin), notre nouvel Ésope démontrait qu'il savait tout faire : beatboxing sur la "Appleseed Intro", jazz rap sombre sur "Dryspell" (en fait une réplique du "Peace" d'Ornette Coleman), et hip-hop ténébreux sur "Same Space (Tugboat Complex)".
Mais c'est à partir de l'orgue et des cordes discrets de 'Sick Friend' que l'album atteignait sa vitesse de croisière. Ceux pour qui le rap, austère, sobre et sur l'os des premiers morceaux manquait décidément d'entrain, pouvaient se réjouir de "1000 Deaths", une déclinaison inhabituelle et astucieuse de la vieille formule violon / piano. Ils pouvaient apprécier aussi le complexe, tourmenté et orientalisant "Blue in the Face" ainsi que l'ultime morceau de Appleseed : un "Odessa" où Aesop Rock sortait sa flûte et débauchait le fantaisiste Dose One, un des meilleurs étalons de l'écurie Anticon, pour un finale en apothéose.
Avec ce court album en crescendo, Aesop Rock était encore un secret bien gardé du rap, il n'était pas encore médiatisé à la hauteur de son talent. Mais cela ne saurait tarder. Les portes des labels indé les plus prestigieux s'ouvriraient pour ses prochains albums, celles de Mush Records, Def Jux, et puis Rhymesayers. Il collaborerait avec toute l'intelligentsia de la scène rap indé, en devenant lui-même l'un de ses rappeurs les plus emblématiques. Et bientôt, la petite graine plantée par Appleseed dans l'underground donnerait bien d'autres fruits.
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