The Roots sont l’un des rares groupes de rap à être restés pertinents et réguliers sur plusieurs décennies. Ils y sont parvenus en retenant à chaque fois quelque chose de l’époque qu’ils ont traversée, comme le montrent leurs meilleurs albums. Avec son option 100% organique, Do You Want More?!!!??! a poussé au bout de sa logique le principe du jazz rap, alors de mise au cœur des années 90. Avec Things Fall Apart, ils ont pris la tête du mouvement rap "conscient". Puis avec Phrenology, en exposant leur son à d’autres genres musicaux, ils ont été en phase avec les très éclectiques années 2000. Sur Game Theory, enfin, toutes ces caractéristiques se sont empilées pour faire de ce premier album chez Def Jam une réussite presque totale.
Tout d’abord, constante chez The Roots, il y a sur cet album, comme toujours, ce son organique, tous ces vrais instruments, ce feeling très "live" garanti par le fantasque batteur ?uestlove, le clavier Kamal et le bassiste Hub, secondés ici par un guitariste (Kirk Douglass), ainsi que par quelques autres musiciens, violonistes, violoncellistes ou percussionnistes.
Il y a ensuite une posture engagée et une noirceur peu commune sur ce disque enregistré au milieu de l’ère Bush, après l’ouragan Katrina, après aussi le décès de J Dilla. Les Roots rendent hommage à ce dernier, et ils prennent aussi le contrepied des raps festifs ou étincelants de ces années-là, en renouvelant les critiques de Public Enemy envers les médias ("False Media"), en parlant de guerre et de pauvreté, en donnant le ton dès un single intitulé "Don’t Feel Right".
Enfin, il y a de l'éclectisme. Ce disque est imbibé de Black Music : la voix de baryton de Wadud Ahmad évoque celle d’un Isaac Hayes ou d’un Barry White, "Don’t Feel Right" et "Clock with No Hands" jouent d’une nu soul délicate, et "Long Time" bénéficient de violons soyeux et de la participation de Bunny Sigler, pionnier du Philly Sound. Mais le groupe flirte aussi avec des sons synthétiques sur "Here I Come", ou rock, à nouveau, sur un "In the Music" angoissant, sur un "Livin' in a New World" qui évoque Beck, et quand il sample Radiohead sur "Atonment".
Ce disque est aussi le plus concis des Roots. Il se limite à 45 minutes environ, et n’est alourdi par aucune spoken poetry longuette, ni aucun solo complaisant. Et Black Thought, dont le flow s’est parfois montré monotone, est souvent relevé par quelques invités, tous philadelphiens, comme Peedi Peedi, Dice Raw et un Malik B de retour dans son ancien groupe, au moment même où les Roots livrent ce qui pourrait bien être le meilleur album d’une carrière riche.
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