C’est dans les meilleures conditions que Scarface est entré dans le nouveau millénaire. Dix ans après que Geffen avait rechigné à sortir les albums de ses Geto Boys, jugés trop scandaleux, il prenait la tête de la division sudiste du plus emblématique des labels de rap, Def Jam, lançant à l'occasion, avec succès, la carrière de Ludacris. Surtout, après avoir été le représentant d’une scène musicale longtemps marginale et excentrée, il était maintenant au cœur du rap, révéré comme le père fondateur d’un prolifique Dirty South alors en plein triomphe.

SCARFACE - The Fix

Def Jam :: 2002 :: acheter cet album

The Fix, son premier album chez Def Jam, a été le disque de cette consécration, l’un des rares à avoir eu droit, dans les années 2000, aux cinq micros du magazine The Source. Le statut de parrain et de légende vivante désormais acquis par Scarface se mesurait au nom et à l’origine des rappeurs conviés, New-York étant représenté par les deux hommes qui se disputaient son trône, Jay-Z et Nas, tandis que la Californie y déléguait WC, et que le R&B s’invitait avec Kelly Price, Faith Evans et Tanya Herron. Par ailleurs, le Texan s’offrait sur un titre les services des producteurs les plus courus de l’époque, les Neptunes, tandis que deux autres bénéficiaient des beats lumineux d’un Kanye West au début de son ascension.

Certains ont affirmé qu’avec The Fix, fort de ces renforts et du soin exceptionnel qui lui était accordé, Scarface sortait enfin son oeuvre majeure. D’autres, toutefois, ont pensé le contraire. Ils ont regretté qu’il fût trop propre, qu’il lui manquât la rugosité des albums d’avant. Ils trouvaient aussi que ses emprunts aux sons new-yorkais et californiens lui enlevaient sa saveur purement sudiste. Que "Guess Who's Back" sonnait comme un titre de Jay-Z, avec Scarface comme invité, plutôt que le contraire. Qu’il en était du même d’un "In Between Us", avec Nas, par ailleurs diablement bon, et de cet "I Ain't The One" avec WC. Qu’il manquait des titres du génie de "Mind Playin' Tricks On Me" ou "I Seen a Man Die".

Pourtant, c’était toujours le même rappeur qui s’exprimait. Il n’avait pas changé de voie, comme il l’affirmait sur "Sellout". Scarface était encore un gangster infréquentable, à en juger par ce titre en référence à la drogue, par ces comptes-rendus sinistres sur le ghetto ("Safe"), par ces hommages au quartier ("My Block"). Il avait toujours ce ton à mi-chemin entre l’insolence et la douleur, cette voix profonde à vous donner la chair de poule, comme sur le très beau "What Can I Do". C’était toujours du Scarface, c'était encore un disque frustrant, inégal, mais sublimé par le talent du rappeur souvent considéré comme le plus grand du Sud.