Ras Kass venait de Californie. A ceux qui l’ignoraient, il le proclamait fièrement sur "Sonset", un titre de ce premier album sorti au plus fort de la rivalité entre les Côtes Est et Ouest. Il rappelait que, si New-York était bel et bien le berceau du hip-hop, cela ne lui donnait aucun droit, et que la capitale du rap devrait prouver sans cesse qu'elle avait encore des rappeurs d’exception à offrir au monde.
Priority Records :: 1996 :: acheter cet album
Rappeur d’exception, Ras Kass l’était, lui, sans le moindre doute. Le Californien n’a pas connu de carrière à la hauteur de son talent, mais pour tout connaisseur, il est l’un des plus grands rappeurs de l’histoire du hip-hop, un immense "lyriciste", un manipulateur de mots redoutable, un véritable bretteur verbal, au phrasé, à l’inventivité et à l’aisance au-delà de l’ordinaire. Ce disque culte qu’est demeuré Soul on Ice le prouve aujourd'hui encore, à chaque nouvelle écoute.
Les New-Yorkais, Ras Kass les défiait sur leur propre terrain, celui d’un rap paranoïaque et ténébreux, imbibé de références culturelles (l’album s’inspirait de l’essai Soul on Fire du Black Panther Eldridge Cleaver), jouant des théories de la conspiration ("Ordo Abchao") et de thèmes bibliques ("On Earth as it Is..."), méditant sur l’état du hip-hop ("Reelishymn") ou donnant dans un rap "conscient" autobiographique ("The Evil That Men Do"). Les beats aussi, macabres et minimalistes, évoquaient davantage la froideur de la Côte Est que le g-funk local, malgré un relax "Marinatin’", la présence de Coolio sur un "Drama" misogyne, bien dans la tradition californienne, et un "Miami Life" qui exaltait l’idéal d’une vie gangsta passée sous le soleil de Floride. A l’exception de ces plages, tout était noir et sobre, tant et si bien qu’on a parfois qualifié de ternes les beats de Soul on Ice.
Ras Kass s’essaiera pourtant, un peu plus tard, à des sons plus pop. Mais cela ne fonctionnera plus vraiment. Avec un rappeur aussi volubile, il n’était en fait pas besoin de trop en faire. La musique ne pouvait que s’effacer devant un tel flow. C’était même à cette condition que Ras Kass devenait passionnant, comme le prouvait "Nature of the Threat", l’un des titres les plus sidérants qu’ait livré le rap, un morceau invraisemblablement bon où le rappeur réécrivait toute l’histoire de l’humanité pour la résumer aux méfaits incessants et millénaires des Blancs, le long de huit minutes d’un rap accompagné seulement de beats quasi invisibles et d’une cloche improbable et aléatoire ; huit minutes de délire verbal sans pause, sans refrain, et pourtant absolument hypnotiques, fabuleuses et prenantes.
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