Le succès fonctionne comme une loterie. Le talent pèse finalement peu, comparé au hasard des rencontres qui permettront à tel ou tel d'être mieux exposé que tel autre. Et si le temps fait son œuvre, s'il aide à identifier et à rejeter l'ivraie, parmi ce qui a eu du succès autrefois, il ne retrouve pas toujours le bon grain qui s'est éparpillé en route. En d'autres termes, combien de bons disques n'ont-ils jamais été célébrés par quiconque ? Ou, quand ils l'ont été, combien sont retournés dans l'oubli, parce que les médias qui les avaient alors vantés ont eux-mêmes disparu ? Des milliers, sans doute, et From Point A to H pourrait bien être de ceux-là.
Ce disque fut l'une des premières sorties d'un label éphémère auquel nous devons quelques perles méconnues, comme le Workin' de Nobs, ou le Karma Kingdom d'Eibol, qui était par ailleurs l'un des membres de Hand Held Aspects, Losaka, StayInSane et Hippo étant les autres. Issu de la ville d'Ossining, à proximité de New-York, mais trop loin de son centre, composé quasiment de rappeurs blancs, Fingerprint Records n'a dû sa discrète sortie de l'anonymat qu'à l'effervescence de la scène rap indé de l'époque et à l'intérêt manifesté par certains médias (très) spécialisés pour le premier Hand Held Aspects, un tragiquement bien nommé No One's Listening. Et il a disparu quand tout ceci a cessé d'être d'actualité.
Il est temps, pourtant, de vanter à nouveau cet autre disque, From Point A to H. Mieux produit que le précédent, il ramenait le rap directement vers sa phase old school, ou vers son Golden Age. Pas dans la forme : bien au contraire, tout ici demeurait moderne. Mais dans l'esprit, avec ses raps frais, enjoués, trépidants et limite extatiques, avec ses beats encore gavés de scratches et de samples. L'album se montrait capable aussi d'incartades bienvenues, comme avec les accents reggae de "Shorelines", de trouvailles délectables, comme l'étonnante flûte de "One's Perspective", ou de passages plus mélancoliques ("Ice the Pain").
Comme le voulait la règle en matière de hip-hop indé, la seule qui ait vraiment unifié cette scène hétéroclite et morcelée, ce rap prenait à contrepied les clichés habituels au genre. Si le premier titre, un réjouissant "Sing Sing", était l'ancien nom de leur ville et celui de la prison locale, les HHA invitaient à s'affranchir de leur lieu d'origine plutôt qu'ils ne s'en réclamaient. En appelant au respect des opinions sur "One's Perspective", en dénonçant l'abrutissement par les médias sur "Living Room", ils prenaient la posture des rappeurs "conscients" plutôt que celle du criminel, mais sans lourdeur. Et ils invitaient à l'humilité sur "Note to Self", une lettre qu'Eibol et Stayinsane adressaient à eux-mêmes, dans le futur, pour rappeler d'où ils venaient, afin que le succès ne leur monte pas à la tête.
On le sait maintenant, cette lettre n'avait pas lieu d'être. Ce succès, le groupe ne le connaîtra jamais. From Point A To H, cependant, rappellera autre chose d'essentiel aux membres de Hand Held Aspects : que pour quelques années, sur certains titres, ce groupe qui aurait mérité la célébrité était animé d'un feu sacré.