Si Divine Styler est devenu une figure culte chez les amateurs de rap affranchi, ce n'est pas tant pour son premier album, l'excellent Word Power, que pour le second, le très expérimental Spiral Walls.... Sorti de façon miraculeuse sur une major, à une époque bénie où ces dernières signaient à peu près tous les rappeurs qui passaient, ce disque radical explosait en effet tous les cadres du hip-hop.
Sur Word Power, déjà, Divine Styler avait concrétisé quelques envies de métissage, en s'adonnant sur quelques titres, et de manière convaincante, au reggae ou à la hip-house. Mais tout cela n'était pas encore très original, d'autres rappeurs s'essayaient aux mêmes exercices, dans les années de gloire du Golden Age. Et à l'époque même de Spiral Walls Containing Autumns of Light, le parrain du rappeur, Ice-T, franchissait lui aussi quelques frontières, quand il se plongeait dans le metal avec Body Count. Cependant, avec ce deuxième album, produit cette fois par ses seuls soins, Divine Styler allait infiniment plus loin que tout cela.
Le hip-hop n'y était plus présent que par traces, par bribes. Il était perdu au milieu de titres qui lorgnaient vers l'ambient ("Am I an Epigram for Life", "Love, Lies and Lifetimes' Cries"), le hardcore ("Mystic Sheep Drink Electric Tea"), un psych folk de hippy ("Width in My Depth"), de la cold wave à la The Cure mâtinée de guitare baveuse (l'assez beau "Walk of Exodus"), ou vers d'autres choses assez indéfinissables, comme l'électronique dansante et parsemée de pipeau du single "Grey Matter", ou les percussions tribales, la guitare et les nappes de "Euphoric Rangers". Les raps eux-mêmes laissaient parfois place à des cris désespérés, à des susurrements, à des hurlements, à des chants ou, souvent, à de la spoken poetry. Quant aux titres qui se rapprochaient le plus du hip-hop, par exemple le funky "Livery", ils s'offraient le luxe, encore rare à l'époque, d'une instrumentation live.
La portée de ce disque OVNI était d'autant plus grande que Divine Styler n'était pas un petit Blanc qui tripotait le rap, ce jouet qu'il avait piqué aux Noirs, comme souvent quand il est question d'expérimentation et de crossover. Avec lui, c'était une pure histoire de rappeur, celle, classique, d'un mauvais garçon du ghetto qui avait trouvé la rédemption en prison en se convertissant à l'Islam. Cette religiosité, d'ailleurs, le disque en était imprégnée, avec ses prières à Allah ("Livery", "The Next", "Walk of Exodus", "Aura"), ces passages où le rappeur s'engageait dans des considérations métaphysiques, et ces autres où il frappait désespérément à la porte du paradis, implorant qu'on le laisse entrer ("Love, Lies and Lifetimes' Cries", "Heaven Don't Want Me, and Hell's Afraid I'll Take Over").
Aujourd'hui encore, quand certains crient au génie, Spiral Walls... en laisse d'autres dubitatifs. La qualité de ce disque prête à débat. Ce n'est cependant pas là l'essentiel. L'essentiel, ce sont ses moments visionnaires, comme les divagations sur fond d'orgue de "The Next" qui annoncent le spoken word halluciné de Mike Ladd, comme encore ce "Mystic Sheep Drink Electric Tea" qu'on jurerait enregistré 20 ans plus tard par Death Grips. L'essentiel, c'est la transgression, c'est l'ouverture de toutes les portes, c'est le permis de tout faire avec le hip-hop, absolument tout, dont Divine Styler donnait le signal avec cette étrange sortie.
Giant Records :: 1992 :: acheter cet album