En plein cœur du vieux Sud conservateur et arriéré, se trouve l'Etat du Mississipi. Au moment précis où le Dirty South triomphait, il était donc logique que l'un de ses ressortissants, David Banner, devienne un des rappeurs emblématiques de 2003, et aussi l'un des plus productifs. L'ancien du duo Crooked Lettaz (auteur de l'album Grey Skies en 1999, une perle méconnue), sortait coup sur coup deux albums cette année-là (voire davantage si l'on compte leurs versions screwed & chopped…), intitulés de manière sobre et éloquente Mississippi: The Album, 1 et 2.

DAVID BANNER - MTA2: Baptized in Dirty Water

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L'autre nom du second volume, celui par lequel Banner marquait son entrée dans la cour des grands en s'accompagnant d'une ribambelle de rappeurs célèbres, c'était Baptized in Dirty Water, "baptisé dans une eau sale". Comme son pseudonyme, emprunté à L'Incroyable Hulk, ce titre signalait que notre homme se situait à mi-chemin du Bien et du Mal, entre la brutalité et l'angélisme, à l'image de ce Dirty South dont il offrait ici la manifestation ultime. Sale, bruyant, éclectique, exalté, jaillissant, à mille lieues du classicisme du hip-hop new-yorkais, cet album révélait l'archétype du son sudiste. Il présentait aussi un rappeur qui pouvait tout autant invoquer le Très Haut ("My Lord"), qu'aboyer plus souvent les mots "bitch", "dick" et "nigga" que vingt albums de gangsta rap californien.

C'était plein d'une soul gorgée d'émotions dont personne au Nord, à l'Est, à l'Ouest, ne sera jamais capable ("Pretty Pink"). Ca sonnait parfois pop / rock ("Pop That", "Air Force Ones Remix"), ça chantait même ("The Game", "Gots to Go"), sans cesser d'être un rap primitif. C'était baroque, forçant plus que de raison sur les synthétiseurs et les guitares, tentant des expérimentations que n'oseraient même pas les plus arty des rappeurs indés, comme avec le beat de "Talk to Me".

C'était nihiliste et hédoniste, aussi, David Banner se lançant dans des hymnes pour discothèques produits par Mannie Fresh ("So in Love") ou conjugués à la mode crunk ("Like a Pimp", "Crank It Up", "Ooh Ahh", "Mama's House"), des bangers où les femmes étaient toutes ravalées au rang de putes, où les hommes n'étaient plus que des macs. Mais c'était social et engagé aussi, comme avec "Christmas Song", le chant de noël le plus hardcore jamais écrit, où le rappeur justifiait le vol et le crime pour quiconque n'avait rien à mettre sous le sapin de ses enfants.

C'était tout ça, David Banner. Touffu, invraisemblable, déraisonnable. Offensant et jouissif. Roboratif et indigeste. Tout à la fois brut et sophistiqué, excessif mais juste. C'était le rap du Sud, dans son expression la plus complète et définitive.