Les règles ont changé pour qui cherche à se construire une carrière dans le rap. Autrefois, quand le genre était en pleine émergence, les trajectoires météoriques n’étaient pas rares. Mais dans les années 2000, il faut de la patience. Il aura fallu du temps à quelqu’un comme Curren$y pour se faire reconnaître comme l’un des rappeurs les plus notables de son époque, de ses débuts chez No Limit à son passage chez Cash Money, sous le parrainage de Lil Wayne, au succès critique réservé à ses deux disques sortis en 2010 chez Roc-a-Fella, Pilot Talk I et II.
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L’arrivée sur le label new-yorkais fondé autrefois par Jay-Z a aidé, sans doute, ainsi que l'appui d’un producteur important, Ski Beatz, et de MCs célèbres allant du gangster Snoop Dogg au rappeur "conscient" Mos Def, en passant par Devin the Dude. Mais Curren$y devait l'essentiel à son style, arrivé à maturité, et à des titres qu’il avait déjà testé sur Internet par le passé, puis qu'il avait par la suite raffinés. Et à présent, il donnait la pleine mesure de son originalité avec ce phrasé trainard, ces paroles au bord de l’abstraction où se manifestait sa passion pour le cannabis, pour cette weed dont l’influence était partout, par exemple dans cet "Audio Dope II" où la musique elle-même était comparée à une drogue, ou plus généralement dans les métaphores aéronautiques qui traversent tout son œuvre.
On a parfois parlé de stoner rap à propos des disques de Curren$y, de rap abruti par les drogues. Le qualificatif était juste, et s’appliquait avec la même pertinence aux sons de Ski Beatz, qui proposait ici un travail sans grand rapport avec celui qu’il avait livré sur le Reasonable Doubt de Jay-Z et le Uptown Saturday Night de Camp Lo, deux grands disques des années 90. Ici, les beats étaient ouatés, alanguis et atmosphériques (cf. le très réussi "Address"), accompagnés parfois de "vrais" instruments responsables d'un son souple, fluide et ensoleillé ("Breakfast", "Skybourne", "The Hangover", "Life Under the Scope"), ou agrémentés de curiosités sonores limite psychédéliques, guitares criardes sur "Example" et "Seat Change", steel drums sur "Audio Dope II", synthé intersidéral sur "King Kong".
Seules la boucle et l’instru triomphante de "The Day", avec Mos Def, rattachaient ce rap à l’ancien, en même temps qu’ils révélaient le producteur Jay Electronica. Avec le très bon "Prioritize (Beeper Bill)" qui lui succédait, ce titre sortait le disque de sa torpeur. Il se distinguait d’un album où ce rappeur qui répondait aussi à un surnom, Spitta, comme tous les grands, consolidait sa place parmi les rappeurs qui comptent, à l’orée d’une nouvelle décennie prometteuse pour le hip-hop.
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