Voici donc des rappeurs aux idées larges, friands de "vrais" instruments, venus de Philadelphie, mais qui ne sont pas ceux auxquels vous pensez. Avant The Roots, en effet, il y eut là-bas The Goats, l'un des groupes les plus injustement oubliés de l'histoire du hip-hop. Accompagnés à la production par Joe Nicolo des Butcher Bros, l'un des fondateurs de Ruffhouse Records, ce trio multiracial fusionne au début des années 90 les tendances les plus excitantes du rap d'alors.
Oatie Kato, Madd et Swayzack, en effet, lorgnent autant du côté de Public Enemy, par la charge politique lourde dont est bétonné leur premier album, que des Native Tongues, dont ils ont l'éclectisme, l'humour et la fantaisie. A cela, s'ajoute un petit quelque chose de Beastie Boys, avec ces sons qui débordent par moments vers le funk et vers le rock.
Côté critiques et dénonciations, donc, ça y va sec sur Tricks of the Shade. Et la première cible, c'est l'Amérique, ses inégalités, son racisme, ses flics brutaux et ses détestables militants anti-avortement, une Amérique qui va de Christophe Colomb, accusé d'avoir été plus génocidaire qu'Hitler, à George Bush père. D'entrée, les Goats se défendent d'être des Américains typiques, et ils finissent l'album en brûlant la bannière étoilée et en s'acharnant sur l'Oncle S(c)am. C'est radical et violent, toutefois ça ne vire jamais au prêche.
Car côté extravagances et légèreté, The Goats sont aussi au rendez-vous. Une histoire amusante traverse tout l’album, celle de Hangerhead et de Chicken Little à la recherche de l'Oncle Scam, que le groupe nous raconte à l'occasion d'interludes délirants, mais jamais superflus. Il y a aussi cette musique, rapide, ludique, jubilatoire, haute en couleur et pleine de surprises, où un orgue malin, des guitares légères, des percussions bondissantes, des scratches et des raps truculents, prennent un malin plaisir à jouer tous ensemble.
Prisé par la critique, Tricks of the Shade ne rencontrera pourtant pas tout à fait son public, et l'album d'après, No Goats No Glory ne sera plus aussi réussi, pénalisé par le départ d'Oatie, fatigué des soirées défonce de ses compères. Seul le groupe de ce dernier, l'honorable Incognegro, gardera quelques années plus tard un petit goût du premier Goats avec sa fusion rock rap, sans en atteindre l’excellence.
Ah, ça fait plaisir de voir cet album par ici... Le genre de disque à surtout pas prêter : je l'ai fait une fois, jamais revu, merci bien. "l'un des groupes les plus injustement oubliés de l'histoire du hip-hop" : pas mieux. J'avais exhumé la bête il y a quelques années (http://www.abcdrduson.com/chronique...). Depuis ça a pas pris une ride. Ce serait mentir quand même de dire que je me retape tous les interludes à chaque fois, au bout d'un moment...
"No Goats, no Glory" est très nettement en-dessous, y a même pas débat. Mais si on fait abstraction du premier et qu'on aime bien les virées rock ("Rumblefish", "Idiot Business"), il y a quand même des morceaux tout sauf dégueu, comme "Mutiny" (http://www.youtube.com/watch?v=IcDP...). Je le prête pas non plus en tout cas ;-)
Le Incognegro est sympa dans son genre, mais au niveau du son (des textes aussi d'ailleurs), c'est quand même plus vraiment la même chose. Dans mon souvenir en tout cas, c'est plus propre, plus funky, plus "entertainment". J'aurais tendance à le rapprocher du tout premier Count Bass D, "Pre-Life Crisis", ceci dit j'ai pas écouté tout ça depuis dix piges donc je suis peut-être complètement à côté de la plaque.