Qu'on l'aime ou pas, la musique très hair metal de "Rock Box", deuxième plage du premier album de Run-D.M.C., inaugure un exercice promis à un bel avenir en ce milieu des années 80 : la fusion entre rap et hard rock. Ayant trouvé ainsi le moyen de séduire bien davantage que les ghettos afro-américains et les milieux branchés new-yorkais, le trio récidivera sur le second album, un bien nommé King of Rock, avant de décrocher la timbale avec Aerosmith sur "Walk This Way", toujours grâce à la même recette. Toutefois, c'est bien davantage que la guitare mordante de ce "Rock Box" que Run et D.M.C ont d'emprunté au rock. C'est aussi tout le reste.
Certes, sur cet incroyable premier album, aucun autre morceau ne mélange les genres à ce point. Tous, au contraire, sont franchement hip-hop, avec ces beats synthétiques et les prouesses de Jam Master Jay, le DJ et troisième larron du groupe, avec encore ces jeux de langage, notamment cette manière qu'ont les rappeurs de se répartir les segments d'une même phrase, la signature du groupe. Ce trio, qu'on se le dise, ramène le rap à l'essentiel. Toutefois ce phrasé puissant, belliqueux, droit dans ta face, ces sons directs et brutaux, ce hip-hop qui préfère le punch au groove, ont aussi quelque chose d'immanquablement rock.
A titre d'illustration, impossible de ne pas citer le single qui a révélé Run et D.M.C, un "It's Like That" toujours aussi percutant dix ans plus tard, quand il sera remixé par DJ Jason Nevins, puis encore vingt ans après, quand une marque de soda en fera la bande-son de sa publicité. Impossible non plus d'omettre le second single, un "Hard Times" frappé sur la même enclume, tout aussi dévastateur, tout aussi imprégné de commentaire social. Et il y a plus radical encore. Il y a "Sucker M.C.'s", son beat ultra-minimaliste, ses paroles agressives. Sur ce morceau, nos deux rappeurs, ne se contentent plus de proclamer à quel point ils sont bons au micro, comme le font tous leurs collègues : ils s'en prennent avec violence à leurs rivaux. Ils sont dangereux.
Avant Run-D.M.C., le rap est encore une mode exotique, une curiosité musicale, une sorte de disco-funk sympa du ghetto. Mais avec eux, avec leur look unique, avec ces albums qui ressemblent pour de bon à des albums, tout change. Le hip-hop devient disque d'or, il fait la couverture de Rolling Stone, il tourne à travers le pays et très bientôt il passera en boucle sur MTV. Le rap d'après Run-D.M.C. ne sera plus un simple avatar de la Black Music, réduit à la portion congrue face à la variété blanche. Il prendra toute la place, il sera tout à la fois : la nouvelle musique noire, mais aussi, pour plusieurs décennies, le nouveau rock'n'roll.
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