Sur l'impact de Straight outta Compton, il n'y a pas le moindre doute. Peu de disque, dans le rap, n'a autant pesé que le second album de N.W.A., Celui-ci a, sinon lancé, du moins consacré la mouvance gangsta rap. Après, et pour de nombreuses années, cette mythification du gangster, cette fascination pour la violence, les armes, le sexe et le clinquant allait dominer le hip-hop, elle allait en être synonyme. Et aussi, par la même occasion, ce disque dédié à un quartier de Los Angeles transférait de New-York à la Californie le centre de gravité du rap.
Ruthless Records :: 1988 :: acheter cet album
Pourtant, sur un premier album passé inaperçu, Eazy-E, Dr. Dre, Ice Cube et DJ Yella n'avaient pas immédiatement trouvé la formule. Il avait fallu le renfort de MC Ren, et surtout l'influence de Public Enemy, pour passer à la vitesse supérieure. Du groupe de Chuck D., N.W.A. retenait la virulence, la férocité et le son terroriste. Mais au lieu de chercher à porter un message, nos hommes se lançaient dans des propos d'une sauvagerie et d'une gratuité inouïes, qui glorifiaient une vie faite de meurtres, de réussite facile, de femmes-objets, d'agressions sexuelles et de confrontation violente avec la police. Nos Niggas With Attitude (mais quel nom !) fâchaient les héritiers du mouvement pour les Droits Civiques, ils ruinaient les efforts entrepris pour élever et respectabiliser l'Afro-Américain, déclinant à son paroxysme l'image d'un homme noir criminel, dangereux, sexiste et libidineux. Cependant, bientôt, les jeunes Blancs des banlieues américaines allaient adorer.
Sur le poids de ce disque, disions-nous, il n'y a donc pas l'ombre d'une ambigüité. Pourtant, malgré la force des images et des mots, basiques, faciles presque, mais pénétrants, Straight outta Compton n'était pas irréprochable. Soucieux de nous en mettre plein la figure, le groupe jetait le plus gros de ses forces dans les trois premiers titres, de loin les plus puissants. "Straight outta Compton", tout d'abord, était époustouflant. Sur un beat traumatisant, où l'influence de Public Enemy était patente, nos rappeurs livraient le plus saisissant manifeste jamais proposé dans le hip-hop. Venait ensuite cet éloquent "Fuck tha Police" qui vaudrait à N.W.A. d'être menacé par le FBI, rien de moins. Enfin, le très funky "Gangsta Gangsta" exposait avec éclat le crédo du gangster : "life ain’t nothin’ but bitches and money".
Si la suite déclinait ce thème à l'envi, elle sonnait musicalement moins riche, moins novatrice, moins notable, à part peut-être cet "Express Yourself" bâti sur un tube du même nom de Charles Wright, le seul titre à message et le plus léger de l'album. Mais rien qu'avec ces premières plages tonitruantes, le travail était fait. Désormais, pour le meilleur et pour le pire, "rappeur" rimerait avec "gangster".