En musique comme ailleurs, tout phénomène important engendre mécaniquement son contraire. A la fin des années 90, aux heures de gloire du rap nouveau riche, d’autres chercheraient donc à se montrer engagés, responsables, adultes et spirituels, s’emparant de l’afro-centrisme qui avait caractérisé autrefois les Native Tongues. C’est d’ailleurs dans l’ombre du fameux collectif qu’étaient apparus ces Mos Def et Talib Kweli qui, après avoir sorti ensemble un album sous le nom de Black Star, allaient devenir les porte-drapeaux d'un hip-hop dit "conscient".
Rawkus :: 1998 :: acheter cet album
We feel that we have a responsibility to shine the light into the darkness.
Voici comment les deux hommes ouvraient ce disque enregistré en commun. D’entrée, ils se montraient en mission, ils prenaient la posture du prophète, se plaçant sous le parrainage de Marcus Garvey, le Moïse noir, dont le "Black Star" avait été un programme de rapatriement des Afro-Américains en Afrique. Le premier objectif de Mos Def et de Talib Kweli, c’était donc de poursuivre ce vieux projet de libération de l’homme noir, qu'ils jugeaient mis à mal par les excès du gangsta rap. Ainsi, sur "Astronomy", entreprenaient-ils de magnifier le mot même de "black", avant de se lancer avec "Brown-Skin Lady" dans une ode à la femme noire, et de l'inviter à s'assumer et à se défaire des canons de beauté européens.
L’autre visée de cette croisade, c’était de dire non à la violence, celle-là même qui avait emporté 2Pac et Notorious B.I.G. quelques mois plus tôt. Les deux martyrs du rap étaient désignés nommément sur le premier single, "Definition", qui s’inspirait du "Stop the Violence" de Boogie Down Productions. Faire référence aux anciens du hip-hop, justement, revenir aux fondamentaux du rap, voire jusqu’aux racines jamaïcaines (visez donc la pochette), était un autre dessein du projet Black Star. Quand ce n’était plus KRS-One, c’était Slick Rick qu’on citait, à l’occasion d’une relecture de son "Children's Story". Les références de nos compères allaient même parfois au-delà du rap, avec ce "Thieves in the Night" jazzy et proprement magnifique, qui s’inspirait d’un texte de l’écrivaine noire Toni Morrison.
Avec ses messages et son érudition, l’album de Black Star aurait pu sombrer dans le rap de prêcheur, dans ce hip-hop intello insipide auquel se résumera plus tard une grande partie du rap "conscient". Toutefois, il échappait presque à ce piège, grâce à sa musique parfois légère et métissée, où se croisaient chantonnements, influences reggae, la douce voix de Vinia Mojica et le clavier du jazzman Weldon Irvine ; grâce surtout à deux pièces majeures : le "Thieves in the Night" susnommé, et puis "Respiration", un hymne à la ville splendide et raffiné.
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