Conçu pour durer, se nommait donc cet EP sorti par La Cliqua en 1995 sur Arsenal Records, l'un des tout premiers labels indépendants de rap français. C'était un titre particulièrement bien choisi pour un disque qui a conservé une place de choix dans le cœur des puristes, sans jamais atteindre, pourtant, les niveaux de ventes de rappeurs contemporains, alors boostés par les quotas de chanson française à la radio. Il souffrait cependant d'un gros défaut, un défaut commun aux nombreuses scènes hip-hop européennes : il n'inventait pas grand-chose. Il était avant tout la déclinaison locale d'un son américain, celui du rap de rue hardcore new-yorkais.

LA CLIQUA - Conçu pour durer

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Tout, ici, renvoyait au style de mise dans la grande métropole américaine : les beats produits par Lumumba et Chimiste, avec l'appui du DJ Jelahee, tout en percussions menaçantes, en basses lourdes et en ambiances poisseuses ; l'accent mis sur la technique et l'aisance au micro ; le thème de la rue et de ses dangers, exposé notamment sur le magistral "Tué dans la Rue" ; la volonté de représenter son quartier, celui de La Fourche dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Il y avait même des clins d'œil appuyés en direction des stars de l'autre côté de l'Atlantique, des mots de Method Man scratchés en intro, au fameux "control the mic like Fidel Castro" de Jeru the Damaja, samplé sur "Comme une Sarbacane".

Néanmoins, ce disque valait davantage qu'une copie laborieuse, grâce aux flows agiles et distinctifs de ses cinq rappeurs, Daddy Lord C, Rocca, Doc Odnok (plus connu aujourd'hui sous le nom de Kohndo), Egosyst et Raphaël. C'est à un rap malin, joueur et convaincant que ces hommes s'essayaient avec bonheur. Daddy Lord C, notamment, rappait avec la hargne du boxeur qu'il était par ailleurs. Et le Franco-Colombien Rocca impressionnait plus encore sur "Comme une Sarbacane", en jonglant sans faux pas entre ses deux langues, français et espagnol. Plus tard, après sa carrière française, notre homme récidivera en partant à la conquête des Amériques avec le trio de rap hispanophone implanté à New-York, Tres Coronas.

Au regard du festival offert par les raps, cependant, les beats peinaient à suivre. Comme chez la plupart des rappeurs français, dignes héritiers de cette chanson réaliste qui survalorise les mots au détriment de la musique, ils sont mécaniques, secondaires, quasi scolaires. Mais toutes proportions gardées, à l'intérieur des bornes que se fixait alors le rap français, La Cliqua méritait une place de choix.