A propos de Gravediggaz, on a parfois parlé de super-groupe, mais cela est exagéré. A l'époque, quand ils sortent leur premier album, nos quatre lascars ne sont pas vraiment au sommet de leur gloire. Les années Stetsasonic et De La Soul sont déjà derrière Prince Paul, le RZA vient encore à peine de lancer le Wu-Tang Clan, et c'est en tant que déçus de Tommy Boy, dont ils viennent tous de se faire débarquer, en quasi losers, qu'ils se sont unis avec Frukwan et Poetic.
Cependant, plutôt que de mouronner dans leur coin, nos quatre complices transforment leur aigreur en l'un des disques les plus jubilatoires de l'histoire du rap ; et par la même l'occasion, ils lancent quelques piques à cet ancien label qui les a crus passés de mode. Au lieu de dénoncer un rap où ils semblent ne plus avoir leur place, en pleine ère gangsta, ils reprennent à leur compte ses tendances les plus rageuses, les plus haineuses, les plus morbides de ce registre.
Ils les poussent au paroxysme, jusqu'à l'absurde, à grand renfort d'effets gore, à grandes giclées d'hémoglobine, avec en arrière-plan une dose carabinée d'humour et d'ironie. Ils consacrent ainsi un genre à part entière, l'horrorcore, sorte de film d'horreur sur vinyle, de death metal en version rap.
Troquant leurs pseudonymes habituels pour d'autres où se décline le thème de la mort, Prince Paul (The Undertaker), RZA (Rzarector), Poetic (The Grym Reaper) et Frukwan (The Gatekeeper) cultivent savoureusement des penchants meurtriers et des envies suicidaires. Sur ce disque qui s'ouvre, comme de bien entendu, sur les premières notes de "La Marche Funèbre", il n'est question que de massacres, de torture, d'autodestruction, de serial killers, de fous furieux.
Cette débauche verbale, toutefois, n'aurait pas eu tant d'impact si le groupe n'avait pas compté en son sein deux des beatmakers les plus géniaux et inventifs de toute l'histoire du rap. Avec Prince Paul aux manettes et RZA en support, le sample tueur est dégainé au bon moment avec la guitare de "Defective Trip", le beat dévastateur adéquat souligne la violence effroyable de "Bang your Head" et l'excellent "1-800 Suicide" s'agrémente d'une mélodie inquiétante à souhait.
6 Feet Deep (ou Niggamortis, le titre de l'album en Europe) a beau avoir été la plus grosse blague de l'histoire du hip-hop, un disque qui, en exagérant la violence du rap, tourne en dérision un genre entier. C'est aussi, ironiquement, ultime pied-de-nez de nos quatre rappeurs, l'un des albums les plus jouissifs et les plus prenants dans ce style musical.
Magique comme disque. le suivant reste très bon également.
Shabazz sur "Diary of a Madman"...
bonus :
http://www.youtube.com/watch?v=E2tI...