Au bout du compte, la discographie de Glue se sera résumée à peu de choses. Outre des maxis, un tour CD, un instrumental et un EP transitoire, Sunset Lodge, le trio n'aura livré que deux albums. Chacun d'eux, cependant, est une réussite, le résultat d'une alchimie parfaite entre le rappeur Adeem, le beatmaker Maker et le DJ DQ, l'exemple même d'un enregistrement exécuté avec soin, sans se soucier de livrer quoi que ce soit de neuf, ou d'ancien, par trois artistes d'égale importance, qui ont eu le bonheur de se trouver sur la même longueur d'onde.
Pourtant, même s'ils préservent le même équilibre, s'ils refusent tous deux le coup d'éclat trop facile, s'ils restent à égale distance du conformisme crasse et de l'expérimentation vaine, les deux écueils de l'underground, Seconds Away et Catch as Catch Can sont différents. Sur le premier, Adeem dévoile sa fibre emo, il est introspectif. Sur le second, en revanche, sorti contre toute attente chez le disquaire et label culte Fat Beats, le rappeur invite à combattre la sinistrose et le défaitisme ("Stride"). Il tourne son regard sur l'extérieur, il est un observateur critique de l'état du monde. "The State of the World", s'intitule d'ailleurs l'un des morceaux.
Ce disque là est plus expansif, plus explosif, plus extraverti. Dans les paroles, mais aussi dans le rythme, plus soutenu (ce "Beat Beat Beat" qui pulse, ce "Glupies" à la batterie pétaradante), avec des accents rock hargneux ("A Lot to Say", "Making a Mess", le finale échevelé de "Vessel"), avec un groove funky ("Restless", "Belmont and Clark"), avec surtout les scratches de DJ DQ et ce turntablism plus débridé que sur l'opus précédent, y compris sur des plages instrumentales, dont "In Between Her" et sa guitare maltraitée est l'un des plus notables. Seules quelques plages exploitent une veine plus calme, détendue et jazzy, comme "Hometown Anthem".
Et quelque part, on y perd un peu. Ce surcroit de dynamisme efface la tension fragile qui était l'atout de l'album précédent. C'est d'ailleurs sur ses moments les plus proches de Seconds Away que Catch as Catch Can convainc le plus, comme le délicat "Never Really Know" qui s'achève en trompette jazz, et où Adeem se penche sur les illusions du passé ; comme encore ce morceau concept, "Vessel", un crescendo, où le rappeur marie ses deux registres, réflexion sur lui-même et chronique du temps présent, de loin le meilleur moment de l'album, sa pièce maîtresse. A moins que le violoncelle et les scratches du somptueux instrumental de clôture, "Someone Who Dares", ne lui volent ce titre. Malins les gens de Glue, qui ont donc eu le génie de terminer un deuxième album globalement réussi, mais un poil au-dessous du précédent, par ce qui pourraient bien être trois des plus jolis titres de leur riche carrière en commun.