Au début des années 2000, les Living Legends sont le groupe rap indé par excellence. Leur nom n'est pas volé, car dans l'underground rap international, ils sont pour de bon des figures mythiques et révérées. A la manière du Wu-Tang, le collectif californien se décline en de multiples groupes et projets solo, et il entretient un réseau d'affiliés qui s'étend jusqu'au Japon ou aux Pays-Bas, et qui lui garantit, sans la force de frappe d'une major, un rayonnement mondial.
Cependant, l'inverse de certains de leurs comparses du West Coast Underground, les Legends ne sont pas les rappeurs les plus novateurs. Trop souvent, leur talent se délaye dans leur production prolifique. C'est sur scène, surtout, que ces Californiens prouvent leur valeur. Eligh, toutefois, se distingue du lot. Le rappeur et producteur, l'un des deux blancs du groupe, est le moins conventionnel des Living Legends.
Son talent singulier s'est manifesté, en solo, dès la fin des années 90, avec les albums As They Pass et Gas Dreams. Mais c'est dans les années 2000, avec le convaincant Poltergeist, et plus encore avec ce suave et jazzy Enigma qu'il confirme définitivement son originalité et sa supériorité sur ses pairs.
Enigma est une totale réussite. Pas de tube, pourtant, sur cet album. Le fan y cherchera en vain de nouveaux "Funk", "The Mountain" et "Ancient Grandfather", les titres qui ont porté l'album précédent. Plus beaucoup de raps non plus, sur ce disque qui évoque aussi les albums instrumentaux d'Eligh, les Gandalf’s Beat Machine. Il y a pourtant une continuité avec Poltergeist, et elle est garantie par un homme : Robert Miranda. Après être intervenu ponctuellement sur le disque d'avant, le musicien est présent tout du long, cette fois. Agrémentée de samples de voix, de synthétiseur et d’autres instruments, sa guitare jazz jamais barbante apporte au hip-hop d'Eligh un caractère sombre, suave et onirique.
S’il faut à tout prix comparer Enigma a une musique familière, peut-être peut-on mentionner les instrumentaux du Franco-Irlandais Doctor L, par bribes. Mais c’est à peu près tout. Le somptueux "Life Dance" que le rappeur interprète avec sa mère, la chanteuse folk Jo Wilkinson, l’étrange "Why?", "Travelling Matt" et son sample adroit du "I'm Your Man" de Leonard Cohen, "Who Else", un "Phil" beau à pleurer - et puis mince, tous, tous les titres de ce disque – se montrent d’un charme discret, un charme inédit dans le monde du hip-hop, et qui est l’apanage exclusif d’Eligh.
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