Dans chaque genre musical, on trouve ce type de profil : l'artiste qui, sans jamais vraiment exploser, poursuit son bonhomme de chemin, acquiert le respect des vrais fans et ne cesse d’enrichir, avec régularité, une œuvre dense et singulière. En ce qui concerne le rap, ou plus précisément la scène de Houston, Devin The Dude pourrait être celui-là.
C'est auprès de Scarface que le Texan est apparu, avec son groupe Facemob, et avant cela comme membre du collectif Odd Squad. Et puis, au fil du temps et de sorties solos toutes remarquables, il s'est fait une place à lui. Il a aussi gagné la reconnaissance de ses pairs, notamment celle de Dr. Dre, qui le convie sur son second solo, 2001, puis celle d'Andre 3000, de Snoop Dogg, de Bun B et de Lil Wayne, tous présents sur son quatrième album, Waitin' To Inhale.
Ce disque, le premier à rencontrer un succès conséquent, est aussi, sans doute, le meilleur pour découvrir Devin The Dude. On y entend, plus maîtrisées que jamais, les caractéristiques du rappeur : un tempo lent et relax, doublé d'un phrasé paisible et chantonnant, écrins de circonstance pour ses deux éternels thèmes de prédilection : le sexe et les joints.
On y trouve aussi sa pose anormalement humble, son humour pince sans rire, son ironie gentille, son autodérision.
Il faut s'appeler Devin Copeland, en effet, pour se mettre en scène en train de négocier un prix auprès d'une prostituée ("She Want That Money") ; pour se délecter des petites revanches de la vie, quand il constate que la jolie fille qui l'avait snobé à l'école est devenue obèse et repoussante ("She Useta Be") ; pour parler avec ses amis des inconforts du métier de rappeur ("What A Job") ; pour confesser sa vulnérabilité en récitant l'air de rien la lettre d'une violence crasse qu'il destine à son ex ("Just Because") ; pour regretter de manière poignante les errements de jeunes filles qui ont perdu leur innocence ("Lil Girl Lost") ; ou pour donner l'illusion d'une passion pédophile, avant qu'on ne s'aperçoive que l'objet du désir, dont Devin attend avec impatience qu'il grandisse, est en fait un plant de cannabis ("Cutcha Up")…
Ces textes sont d'autant plus savoureux que Devin The Dude les double d'un son organique, mélodique, nourri à la soul, où résonnent avec un intense bonheur chants, pianos, saxophones, guitares acoustiques et cordes somptueuses, et où s'affiche pleinement une épaisseur musicale qui est l'autre point fort du rappeur, celui que partagent toutes les émanations d'une discographie constamment satisfaisante.