A la fin de la décennie 80, des années que certains désigneront plus tard comme l'Âge d'Or du hip-hop, le genre évolue à une vitesse prodigieuse. Sans cesse, s'ouvrent de nouvelles voies, apparaissent des ruptures décisives. Et 3 Feet High & Rising (un titre emprunté à… Johnny Cash) n'est pas le moins révolutionnaire des albums de ces années-là, consacrant le rap inventif du collectif Native Tongues, inauguré peu avant par les Jungle Brothers, et annonçant l'entrée dans une nouvelle ère, que certains dénommeront bientôt le Daisy Age : l'âge des pâquerettes.
L'innovation la plus visible, c'est l'imagerie du trio, ces couleurs chatoyantes et ces fleurs qui ornent la pochette, ces airs d'intellos facétieux qu'y arborent les jeunes rappeurs Posdnuos, Trugoy et Pasemaster Mase. A cette époque, après Boogie Down Productions et Public Enemy, juste avant la déflagration du gangsta rap californien, la voie empruntée par le hip-hop semble toute tracée : le genre devient sans cesse plus noir, plus agressif, plus menaçant. De La Soul, cependant, choisit de nager à contre-courant et de donner dans un rap joueur et bon esprit.
Les trois compères se moquent du conformisme de leurs pairs ("Me Myself and I"), ils dénoncent les violences du ghetto ("Ghetto Thang"), ils disent "non" à la drogue ("Say No Go"), ils nous parlent d’amour ("Eye Know") ou de manque de confiance en soi ("Can U Keep a Secret"), ils n'ont pas peur des mélodies, chantant à l'occasion sur "The Magic Number". Et des thèmes inattendus (les odeurs corporelles sur "A Little Bit Of Soap"…) aux pseudonymes des rappeurs (Trugoy est une inversion du mot "yogurt"…), se manifeste leur humour potache.
Cependant, la révolution De La Soul ne tient pas qu’aux paroles. Elle réside aussi dans la production de l'album, assurée par le fantasque Prince Paul, venu du groupe Stetsasonic. Ensemble, nos lascars élargissent le registre du hip-hop. Les samples, très nombreux (parfois plus d'une dizaine par titre), ne sont plus limités au funk et à James Brown, ils viennent de partout ailleurs, du jazz, de la pop, du reggae et du rock psychédélique des années 70.
Psychédélique, voilà le mot qui qualifie le mieux ce disque qui propose cinquante nouvelles idées à la seconde et, marque de fabrique pour Prince Paul, de multiples interludes loufoques. Avec leur rap de gentils doux dingues, les De La Soul deviennent, selon les médias, les hippies du hip-hop. Une image encombrante et réductrice, qu'ils tenteront de casser dès le prochain album, un De La Soul Is Dead, dont la pochette exhibera ostensiblement un pot de fleurs brisé.
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