Ce n'est pas toujours au moment de son apogée qu'un mouvement connait ses meilleurs instants. Ainsi de la vague britpop, considérée aujourd'hui, si ce n'est à l'époque même, avec mépris et condescendance. Il n'y a pas forcément grand-chose à retenir des années 1994 et 1995, celles de son paroxysme. celles de la rivalité très médiatisée entre Blur et Oasis, et de cette multitude de groupes indigents montés chaque semaine en épingle par la presse britannique. Non, s'il faut en tirer quelque chose, c'est avant qu'il faut regarder. C'est du côté de Luke Haines et des Auteurs, du Modern Life Is Rubbish de Blur, et bien sûr de Pulp qui, même s'ils n'ont explosé qu'avec l'album Different Class, étaient déjà là depuis longtemps.
Ou bien il faut regarder après, du côté de ces groupes gallois pastoraux et originaux, emmenés vers 96 par les Gorky's Zygotic Mynci et les Super Furry Animals. Ces derniers, même s'ils sont alors populaires et prisés par la presse musicale à grand tirage, même s'ils rejoignent Oasis chez Creation et qu'ils finiront par collaborer avec Paul McCartney, suivent une autre voie que la grosse cavalerie britpop. Il n'est plus question de textes à contenu social, comme avec Blur ou Pulp, mais de paroles surréalistes. Ce n'est plus l'axe Kinks-Jam-Madness qui est suivi, mais celui du rock psychédélique et décadent, voire progressif, voire glam, du début des années 70.
Le groupe, d'ailleurs, a un parcours qui sort de l'ordinaire. A l'origine, nos animaux super poilus s'étaient lancés dans un projet techno. Puis, quand ils se sont mis aux chansons, ils les ont tout d'abord déclamées dans leur gallois natal, comme l'indique le doux intitulé de leur tout premier EP, Lianfairpwllgywgyllgoger Chwymdrobwlltysiliogoygoyocynygofod (In Space). Ce n'est que plus tard que Gruff Rhys s'est mis à l'anglais, le groupe estimant, à raison, qu'il était temps pour lui de prétendre succès et de réclamer sa part du gros gâteau de la britpop.
Cependant, cette britpop qu'ils jugent eux-mêmes triste et conservatrice, les Super Furry Animals la cuisinent à leur sauce. Ils en gardent les ingrédients principaux, ses mélodies imparables, ses refrains accrocheurs et ses guitares proéminentes, mais ils y mêlent quelques essais expérimentaux, et ils font mariner le tout dans une ambiance hallucinée. La drogue, en effet, est très présente sur Fuzzy Logic, leur premier album, via ces photos de Howard Marks en pochette, trafiquant gallois notoire, via le titre un brin noisy qui lui est dédié, "Hangin' With Howard Marks", via aussi ce single, "Something 4 the Week-End", qui parle de psychotropes.
Sans parler si ouvertement de drogues, les autres chansons sont aussi déglinguées. Le groupe qui, en cette année 1996, écume les festivals à bord d'un char d'assaut peint en bleu, met en scène le dialogue entre un hamster et son maître ("Fuzzy Birds") ou confesse sa passion pour les frisbees ("Frisbee"). Et la plupart des morceaux dévoilent des paroles cryptiques ("Mario Man") et des métaphores floues. La musique, elle, est aussi chargée et fantaisiste. Dès le départ en fanfare d'un "God! Show Me Magic" tout en cris, guitares fuzz et piano boogie, s'annonce un album qui multiplie les instruments, les voix trafiquées et les effets de studio.
Mais le plus souvent, c'est avec leurs titres gracieux que les Gallois gagnent la mise. C'est avec cet "Hometown Unicorn" qui exploite le vieux thème du désir nostalgique du retour chez soi, sur cette chanson d'amour délicieusement emphatique qu'est "Gathering Moss", et avec les violons de "If You Don't Want Me To Destroy You" et "Long Gone". Aujourd'hui, tout cela n'est plus de saison, ce n'est plus dans l'air du temps, loin s'en faut. Pourtant, et en dépit de morceaux parfois un peu trop gras, Fuzzy Logic prouve qu'il y a tout de même quelques petites pépites à retenir de ce mouvement populiste et cocardier qu'aura paru être la britpop.