Feral House / Camion Blanc :: 2001 / 2010
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Quand Steven Blush a écrit le fondamental American Hardcore (bientôt réédité, et récemment traduit en France), son but était certes de rendre hommage à ce mouvement typique de la jeunesse américaine et dont, en tant que promoteur de concerts, il a été l'un des acteurs. Mais pas seulement. Il voulait aussi collecter des témoignages fiables et éprouvés d'autres activistes de l'époque, montrer ce que ce mouvement avait été, pour de bon, pour de vrai, avant que la postérité diverse et riche du hardcore n'en vienne à transformer définitivement l'histoire en mythe.
Aussi aborde-t-il le sujet crûment, sans chichi, sans romantisme, sans enjoliver quoi que ce soit, avec un style direct, clair, concis et factuel, un style hardcore, précisément, où s'entremêlent récits, affirmations, extraits d'interviews, photos, logos de groupes, paroles de chansons, ainsi que ses avis, témoignages et anecdotes personnels. Indubitablement, transparait chez Blush une fierté d'avoir participé à cette aventure, mais il n'en gomme aucun point sombre : lâchetés, bassesse, brutalité, puritanisme, étroitesse d'esprit, flirts avec l'extrême-droite...
Ce regard froid lui permet de dresser des constats clairs sur ce qui caractérisait le genre : violence, masculinité, extrême jeunesse, négation des idéaux hippies, envers du décor de l'époque reaganienne, surgissement de la classe moyenne blanche dans le champ très bohème de la musique. Il souligne aussi, avec précision, ce qui différenciait le hardcore du punk, en quoi il en était la réaction tout autant que la continuation. Il explique également que le rock alternatif de la fin des années 80, s'il est né du hardcore, était déjà tout autre chose, une mutation. Il démontre enfin que le hardcore ne correspond qu'à un temps, qu'à un moment de l'histoire du rock, commencé en 1980 et mort en 1986, point barre.
Ce faisant, malgré son ton péremptoire et déclamatoire, Blush rend tout de même compte des nuances, tensions et contradictions de cette scène où des garçons de bonne famille côtoyaient des marginaux issus de familles dysfonctionnelles, où homosexualité et homophobie se côtoyaient, où le sexisme était honni, mais où les femmes étaient rares, où un public exclusivement blanc flirtait avec le racisme en même temps qu'il vénérait plus que tout autre un groupe de rastas noirs (les Bad Brains), où l'on pouvait se déclarer straight edge le soir et se défoncer la nuit, ou jouer les marginaux sur scène pour reprendre une vie normale le lendemain, et où l'on allait finalement se tourner en masse vers le metal, l'ennemi d'hier.
Aussi, Blush prend soin d'éviter tout anachronisme. Il ne raconte pas l'épopée hardcore à l'aune de sa postérité, mais avec les yeux de l'époque. En cela, il se différencie du Our Band Could Be Your Life de Michael Azerrad, un ouvrage qui traitait en partie du même sujet, mais ne décrivait le hardcore que comme le point de départ d'une longue épopée dont l'aboutissement serait l'explosion grunge.
Ce qui intéresse Blush, au contraire d'Azerrad, ce ne sont pas les artistes qui sont devenus importants en cessant d'être hardcore (The Replacements, par exemple, n'ont droit qu'à un court paragraphe), en posant les fondations du rock d'après (Steve Albini, Jay Mascis et Lou Barlow, les Meat Puppets...), ou en perçant dans d'autres genres musicaux (les Beastie Boys, Moby…). Non, ce dont il parle, ce sont les groupes qui comptaient en ce début des années 80, ceux qui avaient le plus de sens pour le public hardcore de leur temps, même s'ils ont été oubliés depuis.
Parce que le livre est ultra-documenté, parce que Steven Blush maîtrise parfaitement son sujet, parce qu'il trouve le juste compromis entre passion et lucidité, parce que son style direct le rend absolument limpide, American Hardcore est une bible, la somme définitive sur ce mouvement majeur. Son seul défaut majeur, c'est de se vouloir trop exhaustif et de s'efforcer de citer scène après scène tous ceux, bons ou mauvais groupes, qui ont apporté leur pierre à l'édifice. Blush est passionnant quand il retrace l'odyssée de Black Flag, des Bad Brains ou des Misfits, mais la lecture devient plus laborieuse vers la fin, quand il s'emploie à citer ville par ville le moindre combo hardcore à y avoir sévi. Cependant, rien n'oblige à parcourir ce livre d'un bout à l'autre. Il peut aussi être consulté comme une encyclopédie, entrée après entrée, en fonction de ses intérêts du moment.
L'autre réserve, c'est que Steven Blush surestime parfois la portée du hardcore. Il est par exemple excessif quand il déclare que tout le rock d'aujourd'hui en est issu, et qu'il le présente comme le géniteur exclusif du rock indé de la fin des années 80. Plus généralement, il se fait le héraut d'une vision trop typiquement américaine de l'après-punk, quand il oppose de façon manichéenne un hardcore résolument underground à une new wave tiède vendue aux grands médias.
Mais cette vision, aussi biaisée soit-elle, c'était aussi celle du hardcore. C'est l'idée qui l'a fait naitre et qui l'a alimenté, c'est son mythe fondateur. Et il n'est pas étonnant que Steven Blush s'en fasse le relai, puisque son entreprise, pleinement réussie, est de nous replonger non seulement dans la musique de l'époque, mais aussi dans ses aspirations, ses idéologies, ses valeurs et son état d'esprit, maintenant qu'il est trop tard, à présent que tout cela est définitivement révolu.
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