Dans le monde du rock, pendant quelques années, rien n'a été plus violent que l'opposition âpre entre punk rock et heavy metal. L'un valorisait l'amateurisme, l'autre la virtuosité. Le premier se voulait marginal et underground, le second cherchait à mobiliser les foules. Alors que le punk était arty et élitiste, et qu'il recueillait la faveur des critiques, le hard rock était populiste, et l'objet d'un mépris durable. Les adeptes du premier genre portaient les cheveux courts, les autres de longues crinières. Les rythmes punk étaient frénétiques, ceux du metal lents et plombés. Et l'on pourrait allonger encore la liste de ces qualités contraires...
University of California Press :: 2009 :: acheter ce livre
En partageant sa propre expérience de fan de punk ET de heavy metal au début de This Ain't The Summer Of Love, l'universitaire américain Steve Waksman rappelle que cette opposition ne va pas nécessairement de soi. Ici, après avoir publié un essai de référence sur la guitare électrique, Instruments of Desire, il s'emploie à raconter et à analyser les rapports bien plus complexes qu'il ne paraît entre deux des principaux genres musicaux dont cet instrument a été le centre.
Au cours des trois premiers chapitres, Waksman identifie des convergences entre punk et metal. Tout d'abord, il signale que tous deux sont nés sur les cendres du projet hippy, d'un rejet commun de ces artistes qui, à la fin des années 60, avaient oublié la fraicheur virginale du rock. En piochant dans les journaux de l'époque, il montre que Greg Shaw, Lenny Kaye et Lester Bangs, ces critiques qui théoriseront le punk avant même qu'il ne naisse, étaient moins hostiles à Grand Funk Railroad que d'autres journalistes rock, qu'ils reconnaissaient en leur hard rock populiste une certaine forme de renouveau ("Staging the Seventies").
Steve Waksman rappelle aussi que les deux genres ont partagé la même fascination pour la mort et la violence, à l'opposé encore de l'idéal hippy, et qu'ils ont tous deux emprunté au glam rock son goût de la mise en scène ("Death Trip"). This Ain't The Summer Of Love, comme le dit le titre, lui même emprunté à un morceau de Blue Öyster Cult, ce groupe hard rock qui avait la particularité d'être respecté par la critique punk. L'auteur démontre aussi la fascination commune des deux genres musicaux pour l'adolescence, seule catégorie d'âge capable à leur sens de garantir au rock fraicheur et intérêt ("The Teenage Rock'n'Roll Ideal").
L'auteur identifie aussi des groupes dont l'appartenance à l'un ou l'autre genre n'est pas toujours évidente à définir. Tout juste avant l'explosion punk, des groupes aussi différents que les Dictators et les Runaways l'annonçaient, mais ils avaient aussi de fortes tonalités hard rock ("The Teenage Rock'n'Roll Ideal"). En marge même de la frénésie punk à la fin des années 70, Motörhead incarnait déjà un premier crossover ("Metal, Punk, and Motörhead"). Plus tard, tout en renforçant les digues contre la new wave, le metal britannique s'approprieraient quelques uns de ses traits ("Time Warp"). Enfin, dans les années 80, dans l'underground américain, les deux genres convergeront progressivement l'un vers l'autre, à tel point que Nirvana, le groupe par lequel ce rock alternatif deviendra grand public, sera qualifié indistinctement de hard rock ou de punk ("Metal/Punk Reformation").
Cependant, Waksman ne nie pas les différences qui séparent les deux genres. Même quand il observe des points communs, il précise par quelles nuances les deux musiques restent distinctes, sinon par le son, par l'idéologie. Selon lui, la différence fondamentale tient aux conditions mêmes d'écoute et de production de ces deux genres. L'opposition majeure, selon lui, est que le hard rock est une musique créée pour les foules, pour les stades, tandis que le punk est destiné aux espaces plus confinés, où s'efface la séparation entre les artistes et leur public.
Tout en se lançant dans cette histoire comparée, l'auteur ne s'engage jamais dans ce discours lénifiant selon lequel les genres, c'est pas bien, qu'il faut savoir transcender les frontières. Non, il est plus subtil. S'il estime que ces genres sont en grande partie artificiels, qu'ils sont des constructions idéologiques, il pense aussi que cette séparation est nécessaire, qu'elle autorise un dialogue fructueux, qu'elle entretient une dynamique salutaire entre ces styles, ou en leur sein même.
Les fans de metal ont subi comme une agression l'explosion punk. Mais les adeptes du punk ont eux-mêmes été décontenancés quand ils ont constaté que le vieux hard rock leur avait survécu. Cela a questionné les deux camps, qui ont été amenés à adapter leur musique et leur discours. Symptomatique est par exemple le positionnement de groupes comme Raven, qui adopteront l'agressivité et la posture underground du punk, mais ne s'en déclareront pas moins gardiens du vrai metal, par opposition aux groupes hard rock grand public.
Issues of "selling out" and "staying true" were nothing new, but in previous years the true music would more likely have been cast as rock writ large, rather than heavy metal specifically. Under the influence of Raven and other NWOBHM bands, combined with the way those bands were covered in the British music media, heavy metal had an authenticity it could call its own (p. 192).
On pourrait reprocher à This Ain't The Summer Of Love une perspective partielle, de ne nous proposer que des démonstrations par l'exemple, plutôt que des vues d'ensemble. Le propos, par exemple, est centré sur l'Amérique. S'il parle de la New Wave of British Heavy Metal, c'est surtout en regard de son impact sur le hard rock américain. Aussi, il s'intéresse exclusivement au punk comme genre musical, le punk rock, le punk hardcore, le punk à guitares, alors qu'il était avant tout un mouvement incluant une grande pluralité de styles et de chapelles.
Mais Waksman traite admirablement de ce dont il choisit de nous parler. En nous contant cette dialectique entre deux écoles, il se montre éclairant. Il livre un vrai travail scientifique, à l'opposé de ces livres qui veulent réécrire l'histoire dans leur sens. Au contraire d'un Simon Reynolds qui, dans Rip It Up and Start Again, redéfinissait à sa convenance les frontières du post-punk, y incluant ou non ce qui lui semblait bon, Waksman, sans pour autant être barbant, nous rappelle ici la complexité des dynamiques qui animent la musique et les genres qui la divisent.
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