Le premier album de ce grand groupe qu'est rapidement devenu Outkast était, eh bien, le premier album d'un grand groupe : imparfait, inégal, pas encore affranchi d’une forte influence West Coast avec ses airs soul funk à la cool et ses rodomontades de branleurs, pas aussi singulier que ATLiens, le prochain, pas aussi iconoclaste que ceux d'avant ; mais déjà riche d'immenses promesses.

OUTKAST - Southernplayalisticadillacmuzik

La Face / BMG :: 1994 :: acheter ce disque

Déjà, étaient présents les raps rapides et virtuoses caractéristiques de André "Dré" Benjamin et d'Antwan "Big Boi" Patton, ainsi qu'une imagerie de maquereaux flamboyants qui ferait rapidement florès dans tout ce rap Dirty South dont ils seraient les premières stars et dont Southernplayalisticadillacmuzik, ne serait-ce que par son titre, sonnait comme le manifeste. Ensuite, il y avait cette production soignée, assurée par Organized Noize, cette musique aux horizons très larges qui annonçait les audaces futures et les escapades crossover de notre duo.

En Californie, le g-funk avait déjà introduit une nuance mélodique et enjôleuse dans le hip-hop, à l'opposé du très austère boom bap new-yorkais. Outkast, toutefois, amplifiait la tendance. Dès ce premier album il y avait des chants, sur quasiment chaque plage, la plupart très accrocheurs, avec des falsettos à la Curtis Mayfield et un sex appeal particulièrement prononcé. Aussi, certains passages faisaient plus qu'emprunter des samples au p-funk. Ils sonnaient carrément comme des morceaux issus de la grande période soul / funk des années 60 et 70, avec une instrumentation très live, à peine remise au goût du jour par quelques brins de scratches et de raps, voire pas du tout, comme sur "Funky Ride".

Les paroles, elles aussi, renouaient avec cet héritage soul / funk chaleureux. Elles étaient enjouées, fantaisistes, festives, mais elles restaient engagées, identitaires, émaillées de remarques sur la condition des Noirs, une condition bien sûr nulle part plus singulière que dans ce Sud esclavagiste dont Big Boi et Dré provenaient. A l'occasion, avec leurs amis de Goodie Mob, ils s'adressaient même nommément à leur communauté et l'invitait à se prendre en main ("Git up, Git out").

Souvent, c'est le single "Player's Ball", présent ici en deux versions, qui est cité comme le moment fort de l'album. Ce n'est pourtant pas le meilleur titre. Dès le début, lui étaient supérieurs l'excellent "Honey", un "Ain't no Thang" très West Coast, sans oublier un "Southernplayalisticadillacmuzik" soyeux à souhait.

La suite de l'album n'atteint plus qu'occasionnellement un tel niveau. On n'y entend même quelques morceaux passablement creux, comme cet indigent "Call of da Wild" construit sur une boucle paresseuse, le p-funk de deuxième zone du torride mais interminable "Funky Ride", ou des interludes inutiles et lourdes, comme 99% des interludes en ce bas monde. Mais ce "Git Up, Git Out" aux basses chaleureuses ouvert idéalement par le compère Cee-Lo, de même que cet "Hootie Hoo" au ton plus menaçant, étaient d'autres belles preuves du potentiel du duo.

An outkast is someone who is not considered to be part of the normal world
He is looked at differently
He is not accepted because of his clothes, his hair
His occupation, his beliefs or his skin color
Now look at yourself, are you an outkast? I know I am

Telles étaient quelques unes des paroles entendues sur "True Dat", le skit employé ici comme manifeste. Mais au-delà de ce passage, c'est tout l'album qui était un manifeste. Tout le programme du duo y était. Tout était déjà là, prêt à grandir et à s’amplifier, prêt à aboutir aux classiques que le duo sortirait ensuite, coup sur coup ; prêt même, plus tard, à conquérir ce monde dont il s'affirmaient en marge.

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