Il y a quelque chose de pourri au royaume du hip-hop indé. A mesure que la hype qu’avait connu autrefois la scène Anticon s’est estompée, ses héritiers semblent s’être recroquevillés sur eux-mêmes, s’être ratatinés. Le genre se résume de plus en plus à un rap de chambre mignard et insignifiant, à un emo rap qui n’est plus que l'expression la plus simple, la moins riche, la plus unidimensionnelle, de ce que Buck 65, Why?, Sage Francis, et plus tard soso et Ceschi, avaient su apporter.
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Bref, à force de se mordre la queue, le hip-hop indé est devenu pour de bon la caricature qu’en traçaient ses détracteurs. L’exposition médiatique étant désormais insignifiante, la critique ayant détourné son regard, tous ces rappeurs indé de la troisième ou quatrième génération ont décidé de ne plus parler qu’à eux-mêmes.
Internet aidant, ces dialogues savent se faire à distance, comme dans le cas de ce disque de Little Eskimo Jesus (ce nom, dites-moi…), en fait une collaboration entre le producteur suisse Mattr et le rappeur canadien Ira Lee. La dimension internationale, cependant, ne sauve rien. Elle n’est ici, en aucun cas, source d’enrichissement. Car ce Never Trust the People est tout simplement un échec, une horreur, la représentation même de la longue dérive de ce hip-hop là.
Il lui reste pourtant encore une poignée de bons réflexes, et quelque chose de ses qualités d’autrefois : des samples venus de tous les horizons, une volonté de faire exploser les formats traditionnels, qu’il s’agisse du boom bap ou de la succession couplets / refrain, des ruptures musicales, des surprises, l’usage décomplexé de sons électroniques sophistiqués, avec ici un côté rétro vaguement kraftwerkien ("Scared Of Black People", l’instrumental plutôt sympa de Little Eskimo Jesus).
Aussi, les touches de piano de "A Man Is Nothing", de "I Love My Mom" et de "The Wheelchair Song" ne sont pas loin de faire mouche, avec leur lenteur et leur spleen à la soso. Mais pour être tout à fait aboutis, ils devraient se passer de cet air contrit, de ce ton affecté et concerné, de ces paroles épouvantables où Ira Lee veut nous apprendre que l’homme n’est rien sans sa femme, ou sans sa mère. Et que dire de cette abomination insoutenable qu’est "Montreal", où un canadien francophone répondant au nom de Khyro vient se joindre à Ira Lee pour déclamer des banalités sur la ville québécoise, le tout sur un violoncelle pleurnichard ?
Avec ses pianos en toc et ses cordes à faire pleurer dans les chaumières, Never Trust the People nous livre du rap Richard Clayderman, faussement touchant. De la musique pour gens impressionnables, pour les grands-mères avant l’âge.
J'ai pas écouté cet album, mais en règle général je suis plutôt gros fan des lyrics d'Ira Lee, et j'ai déjà entendu des beats de Mattr qui tabassent.
Mais plus important:
Il y a eu 9 chroniques de disques Hip-Hop sortis en 2010/2009 publiées cette année sur Fake For Real (à ce jour).
Tu considères sérieusement que cet album est tellement nul que ça en fait un des 9 sujets hip-hop les plus importants de cette année ? ou est-ce que tu t'imposes de chroniquer un disque que t'aimes pas tous les 10 disques ?
Ca fait chier de lire sur des sites dédiés au hip-hop que le hip-hop indé est mort. C'est ce genre de chronique qui le flingue, qui fait dire à tout un tas de gens qui n'ont pas d'autres références ou conseils que vos sites que ouais, plus rien qui vaille le coup ne sort aujourd'hui.
Sérieux, Little Eskimo Jesus est nul au point qu'enterrer l'album soit libérateur ? C'est pas plus jouissif de faire partager un truc que tu aimes vraiment ? Y'a pas un onzième album qui a retenu ton attention depuis le début de l'année ?
HHC est mort, y'a plus que toi... Déglingue pas un style que t'es tout seul à représenter...
Est-ce que je vis sur une autre planète pour imaginer que les sites de hip-hop indé sont tenus par des gens qui aiment ça, et qui veulent le promouvoir ?
Je veux vraiment pas être agressif avec ce post, j'essaye juste d'arrêter une mécanique bizarrement autodestructrice... Ton avis sur mes remarques m'intéressent vraiment...
J'ai attendu l'été, que plus personne ou presque ne vienne par ici, et que l'album soit sorti depuis déjà fort longtemps, pour publier la chronique. J'aurais pu me passer d'écrire quelque chose dessus, ce n'était pas le disque le plus motivant de la Terre, et ce n'est certainement pas pour lire ça que Mattr me l'a envoyé.
Mais en même temps, il me semblait super symptomatique, voire caricatural, de ce qui ne tourne pas rond avec la scène hip-hop indé. Et comme ce site est historiquement quand même très tourné vers ce genre, je pensais que ça méritait d'être dit ici. Ne serait-ce, d'ailleurs, que pour me désolidariser du rap montré sur ce disque là, qui est quand même super méga honteux.
Fake For Real n'est pas un site de sauvegarde des espèces musicales en danger. La survie de tel ou tel genre n'est pas une cause supérieure. Je ne vais donc pas m'efforcer de dire des gentillesses sur des trucs que je n'aime pas pour la beauté du geste. Tant pis pour ceux qui y croient encore, mais les artistes devraient tout de même se poser la question de savoir pourquoi HHC met la clé sous la porte, et pourquoi FFR parle de tout, sauf d'eux (même chose des sites en anglais, d'ailleurs).
Sinon, oui, il y a quand même quelques albums rap indé qui m'ont plu ces derniers mois, même si je n'en ai écouté que très peu. J'espère pouvoir en parler un de ces quatre. Faites-moi découvrir 50 bons albums cette année, et je parlerai des 50.
Ahah belle chronique, assez représentative et je dis ça en connaissance de cause, j'ai écouté cet album.
Par contre, je vois pas pourquoi on ne flinguerait pas un album s'il est nul et pourquoi on n'en ferait pas profiter tout le monde. Par respect, pour le gars qui a sorti un truc pas mal y'a quelques années ?
Pour les futurs 50 bons albums de hip-hop indé, je passe mon tour jusqu'à la fin de mes jours.
Ah oui, dommage que les artistes se posent pas "la question de savoir pourquoi HHC met la clé sous la porte, et pourquoi FFR parle pas d'eux".
Enfin, comme tu dis: "tant pis pour ceux qui y croient encore"... (et qui ne sont pas partis en vacances pendant cette période où "plus personne ou presque" ne vient ici...).
Merci quand même d'avoir pris le temps de me répondre.
Critique pédante, j'ai préféré l'écouter que de te lire.
J'imagine que mon post ne sera pas publié, et je m'en fouts...
Tu vieillis mec, c'est tout, alors évite de condanner un style juste parce que tu prends des rides;;;;
OK, si tu veux. Mais ta remarque porterait quand même plus si ces artistes rap indé du dimanche étaient soutenus par des hordes de jeunes qui n'en veulent.
Alors que là, en fait, non. Tout le monde s'en fout...
Ah ah, merci pour la chronique, même si très négative !
Je tombe dessus en découvrant leur clip Being Alone : http://ugsmag.com/2011/08/little-es... Ça commence bien avec cette petite mélodie, et je me dis que tu es vraiment sévère. Et puis quand ça démarre vraiment au bout d'une minute et quelques : aie, l'horreur, le mot est bien choisi, c'est pas bon en fait... Dommage !