Nixon a été l'album de la reconnaissance pour Lambchop. Pas dans son propre pays, l'Amérique, où le groupe à tiroirs de Kurt Wagner est resté à peu près confidentiel. Pas non plus en France, où un petit public lui était déjà acquis depuis que Les Inrocks, à une époque où ils avaient encore le nez creux, avaient vanté à raison leur premier album, Jack's Tulips (1994). Mais en Angleterre, ce qui n'est pas rien quand on connaît le magistère britannique sur la critique rock internationale. Et bien sûr, comme toujours quand un groupe chéri des happy few commence à mettre le nez à la fenêtre et qu'il sort son disque le plus accessible, ce Nixon avait été sujet à multiples débats entre déçus et convaincus.
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Il faut dire qu'il était un peu bizarre, ce disque. Tout d'abord, il y avait tout ce concept autour de Richard Nixon, avec dans le livret une bibliographie sur l'ancien président américain, sans pourtant que les chansons aient un rapport clair avec l'homme du Watergate. Ensuite, il y avait ces incartades soul de plus en plus poussées, étonnantes pour un groupe qui proposait à l'origine une sorte de country alternative, un country rock qui, contrairement à celle de leur bonne ville de Nashville, n'aurait jamais pris le chemin du kitsch et de la variété.
Certes, cette mutation soul n'était pas neuve, elle avait commencé dès l'album d'avant, What Another Man Spills (1998), avec d'étonnantes reprises de Curtis Mayfield et de Frederick Knight. Mais là, Kurt Wagner en remettait une couche, avec un falsetto qui seyait si mal à sa voix chaude et grave d'homme trop porté sur la cigarette et le whisky, avec un timbre légèrement nasillard, à tel point qu'on ne savait plus si c'était un hommage ou une parodie ("You Masculine You", "What Else Could It Be? "). Et tout cela n'était pas organisé sur le mode crossover, en un tout métissé, bâtard, mais constant. Non, ici, c'est plutôt l'éclectisme qui était de mise, avec en ouverture, histoire de tromper sa monde, un joli titre de pop délicate qui n'aurait pas dépareillé sur les premiers albums, avant que Wagner ne relève le défi improbable de marcher sur les traces de Curtis Mayfield et de Prince.
Bref, Nixon avait de quoi laisser circonspect. Toutefois il existait un liant, un point commun à presque tous les titres : une petite tonalité symphonique, des cordes soyeuses, justement héritées de la Great Black Music des années 70, présentes que le chant lorgne du côté de la soul, de la pop ou de la country. Pour aboutir à cela, Lambchop n'avait pas mégoté. Non contents d'être déjà plus de dix, ils avaient invité des cohortes de collaborateurs sur ce Nixon riche et luxuriant, le Nashville String Machine, par exemple. Et, même si Lambchop pouvait à l'occasion faire encore sobre ("Distance from Her to There"), c'est sans doute cela qui, tout en décontenançant certains fans, a emporté la mise, c'étaient ces volées de violons qui rendaient plus patent encore le talent de Wagner et des siens (voire, parfait substitut aux violons, les chœurs du léger "Up with People"), le temps de magnifiques "Grumpus", "Nashville Parent" et "The Book I haven't Read".
Alors, après, on aimait ou pas. On pouvait trouver ces escapades soul soit bienvenues, soit pathétiques. On pouvait trouver cela à la limite du Middle-of-the-Road. Par étroitesse d'esprit, on pouvait préférer le Lambchop moins orchestré, moins accessible, parfois ouvertement expérimental, même si les deux derniers titres (un inquiétant et excellent "The Petrified Florist", un étrange "Butcher Boy"), en rupture avec le reste de l'album, donnaient des gages dans ce registre. Pourtant, Nixon doit être considéré aujourd'hui comme un élément essentiel de la discographie riche, complexe et paradoxale d'un groupe qui ne l'est pas moins.
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