Bloomsbury :: 2007 / 2012 :: japrocksampler.com
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Un jour, il faudra dresser une statue à Julian Cope. Non content d’être resté pertinent musicalement sur trois décennies et de continuer aujourd’hui, à travers le site Head Heritage, à être un leader d’opinion, le Britannique a poursuivi en parallèle une carrière d’écrivain. Certains de ses ouvrages s'étant éloignés sensiblement du domaine musical, notamment ses guides des sites mégalithiques en Grande-Bretagne et en Europe, c’est bien sûr le culte Krautrocksampler que beaucoup ont retenu. Dans les années 90, cet ouvrage a largement contribué à la redécouverte du rock allemand de la décennie 70. Par ailleurs, dix ans plus tard, Julian Cope lui offrait une sorte de petit frère, avec ce Japrocksampler encore plus fouillé et détaillé, explorant, cette fois, le rock japonais de la même période.
Un musicien qui fait profession d’historien ? Voilà qui est toujours suspect. Le risque est toujours grand de voir les mythes et la passion prendre le pas sur la rigueur. Mais Julian Cope ne tombe pas dans ce travers. Certes, l’enthousiasme est là, et c’est tant mieux. Le rockeur écrivain n’est jamais avare en jugements de valeur sur les qualités respectives des groupes japonais passés en revue. Son ouvrage est un guide très personnel, qui se termine, comme pour Krautrocksampler, par une sélection très subjective de 50 albums de rock japonais. Cope est aussi un grand conteur doté d’un style fluide, et son récit, réjouissant et prenant, est émaillé de nombreux traits d’humour très british.
Mais en même temps, c’est du solide, c’est du sérieux. Tout est construit méthodiquement dans ce livre qui commence par planter le décor, en retraçant l’Histoire du Japon avant et après la Seconde Guerre Mondiale, puis qui conte l’émergence du rock local, avant de s’attarder sur le sort et les frasques de groupes emblématiques, représentatifs de la diversité et des spécificités de la musique japonaise de ces années là : les hard-rockeurs du Flower Travellin’ Band, les férocement underground Rallizes Denudés, des Speed, Glue & Shinki imbibés de drogues, les arty Taj Mahal Travellers, le compositeur prog rock J.A. Caesar, la scène free jazz locale et ce Far East Family Band annonciateur du new age.
Et d’où vient-elle donc, cette spécificité du rock japonais ? Du fait, bien sûr, qu’elle est un produit d’importation. L’originalité n’est pas toujours recherchée en tant que telle par ces Japonais. Au contraire, de nombreux groupes cherchent à émuler les modèles occidentaux, changeant de directions à mesure que les modes se succèdent aux US, au UK ou ailleurs. Le Nippon est conventionnel, il est respectueux de ses maîtres, comme ces jazzmen adorateurs de Miles Davis qui n’embrasseront l’électricité qu’une fois que leur idole le leur aura permis. Mais par erreur, par malentendu, il finit par produire autre chose. L’originalité du rock japonais est presque un accident. L’auteur explique comment, par exemple, le rock de là-bas aura développé un goût pour l’improvisation quand, par manque de ressources et de taille critique, il aura recyclé de nombreux musiciens venus du jazz. Il montre encore comment, dans une société foncièrement rétive à toute drogue, les jeunes Japonais aborderont à leur manière l’expérience psychédélique.
Cope rappelle aussi que le rock le plus exaltant nait souvent de la rencontre entre la musique de masse et les scènes avant-gardistes. Avant que, sur le modèle occidental, les deux ne se rencontrent à la fin des années 60, les adeptes des Group Sounds, cette vague yéyé nipponne, se montreront interchangeables, pendant que l’avant-garde musicale évoluera en vase clos. Puis viendra le moment de cette convergence, fructueuse et captivante, qui est au cœur même du livre.
Cet ouvrage a une limite, pourtant : riche, fouillé, il nécessite de se familiariser avec des tas de noms japonais exotiques. Il requiert aussi une solide culture musicale, Cope, pour donner une idée de leurs sons, cherchant continuement à comparer les groupes nippons avec des homologues occidentaux, pas tous connus du grand public. Mais pour les boulimiques de musique, pour ceux dont Internet n’en finit plus de satisfaire l'insatiable appétit, pour ceux qui ont le sentiment d’avoir épuisé tout ce que le rock anglo-saxon pouvait offrir de classiques, ce Japrocksampler est comme le livre d'avant sur le kraut rock : il est à lire absolument, sans attendre que la statue de Julian Cope soit enfin en chantier.
Je viens d'apprendre qu'une version en français allait bientôt paraître chez Le Mot et le Reste : http://atheles.org/lemotetlereste/a...