A coup sûr, la plus grande injustice de l’Histoire du hip-hop est le rendez-vous manqué d’Aceyalone avec une gloire et une reconnaissance dignes de son talent. Quand le rap virtuose du rappeur de Freestyle Fellowship était au sommet de son art, l’heure n’était pas venue, l’époque était au gangsta dans sa Californie natale, et à un boom bap austère à l’autre bout des US. Et quand, autour de l'an 2000, un rap plus libre était enfin de mise, les disques d’Acey étaient devenus moins bons.
Capitol / Project Blowed :: 1995 :: acheter ce disque
Aceyalone avait beau collaborer avec El-P, Antipop Consortium et RJD2, rien, à part le premier Haiku d’Etat, n’égalait plus les To Whom It May Concern (1991) et Innercity Griots (1993) de Freestyle Fellowship, cette compilation Project Blowed dont il avait été le co-instigateur, en 1994-95, ni ses deux premiers albums solo. Il demeurerait un artiste culte, et il ne restait plus aux nouvelles générations qu’à redécouvrir ses disques des années 90 pour prendre la pleine mesure du rappeur.
Si parmi les solos susmentionnés, l’album concept A Book of Human Languages est un bon point d’entrée pour les gens extérieurs au hip-hop, All Balls don’t Bounce est la grande œuvre qu’Acey a sorti sous son seul nom. Assurée par une pléiade de beatmakers, dont Punish, Fat Jack, The Nonce, Mumbles et le rappeur lui-même, la production y est moins riche et plus effacée que sur l’album suivant.
Hormis quelques bizarreries comme "Arhythamaticulas" et "B-Boy Kingdom", l'accompagnement musical se résume le plus souvent à quelques boucles jazzy, peu notables en elles-mêmes. Ici, les beats ne sont pas l’attraction principale. Ils ne servent que de faire-valoir aux raps d’Aceyalone. Car, épisodiquement épaulé par des MCs à sa mesure (Abstract Rude et ses anciens collègues de Freestyle Fellowship), et comme il l’explicite sur "All Balls" ou "Arhythamaticulas", Aceyalone emploie tout l’album à remettre à leur place les rappeurs ordinaires :
Now the problem with you Mc's today is you're too emotional
You have no devotion to the social bug spread
By the words you said to the public
You have no regard for the masses how you effect them
And how they view you
Pour cela, le rappeur s’en donnait à cœur joie, exhibant toutes les facettes de son flow impressionnant de plasticité, changeant de rythme avec une aisance confondante, interprétant des textes sophistiqués, rappant on ou off beat, passant d’un ton doux à un autre plus mordant, navigant sans accroc du style battle ("Anywhere You Go", le magnifique "Deep & Wide", "The Greatest Show on Earth", et l'efficace "Mic Check") à de subtiles réflexions sur son identité de Noir et de rappeur ("Mr. Outsider") et à des chansons dédiées au beau sexe, où la femme s'avèrait bien autre chose qu’un simple objet, menant son soupirant par le bout du nez ("Annalillia") ou faisant regretter une rupture à son ex ("Makeba").
Comme avec Freestyle Fellowship, mais cette fois seul maître à bord, Aceyalone livrait un hip-hop en avance sur son temps, une musique qui ne rencontrerait pas le succès attendu ou mérité, mais qui plantait quelques graines pour l’avenir. Il définissait à merveille, et notamment sur le tout dernier titre, "Keep it True", cette sorte de guide de survie du hip-hop, un rap auquel il allait faire bon revenir.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/1436