Assurément, Nick Cave n’est pas l’artiste d’un seul album. Son œuvre est si riche que plusieurs de ses disques peuvent postuler sans difficulté au titre de classique. Tender Prey, Let Love In ou le plus récent No More Shall We Part sont souvent cités. Certains puristes vont leur préférer l’ardu et abrasif The First Born in Dead, ou remonter jusqu’à Birthday Party. Le dépouillé The Boatman’s Call a autant de détracteurs acharnés que d’admirateurs définitifs. Kicking Against the Pricks est sans conteste un jalon. Le grand public s'en souvient pour les duos de Murder Ballads. Quant à ceux qui préfèrent le Nick Cave apaisé, ils mettent en valeur The Good Son.

NICK CAVE & THE BAD SEEDS - Henry's Dream

Henry’s Dream, toutefois, n'occupe pas la meilleure place dans la discographie de l’Australien. Il serait presque un oublié. Nick Cave lui-même n’apprécie pas beaucoup ce disque sorti en 1992. Il l’a presque renié, mécontent de la production d’un David Briggs recruté pour son travail passé avec Neil Young. Curieux, car le disque que révèle cette pochette signée Anton Corbijn est l’un de ses plus solides. Il est aussi une synthèse de tous les Nick Cave, le punk, le bluesman et le crooner, l’auteur obsédé par le Deep South américain et par les thèmes bibliques, celui des complaintes enfiévrées ("Brother, My Cup Is Empty", "When I First Came to Town", "Jack the Ripper"), des visions hallucinées ("I Had a Dream, Joe") et des chevauchées fantastiques ("Papa Won’t Leave You, Henry"), comme celui des ballades tragiques ("Straight to You") ou des titres inquiétants ("Christina the Astonishing", "John Finn's Wife", le fort "The Loom of the Land").

L'écriture littéraire et le style enflammé du chanteur y sont à leurs sommets. Ses paroles crépusculaires font d’Henry’s Dream un album-concept accompli, qui semble nous relater une seule et même histoire, la course morbide d’un damné dans un monde infernal envahi par le stupre, l’adultère, le meurtre, la violence et l’alcool, bref, par le péché. Un monde sous la menace, ici, d’une sainte vengeresse ressuscitée, là d’un dieu colérique. C’est éloquent. C’est même grandiloquent, mais dans le bon sens du terme. Pourtant, il est vrai que ce disque souffre d’un relatif déficit d’intensité. Nick Cave navigue entre ses registres les plus coutumiers, mais sans aller au bout ni de son numéro de furieux possédé, ou d’homme mûr faussement apaisé, sans jamais barrer dans une seule direction, comme sur d’autres albums plus focalisés.

C’est le défaut d’Henry’s Dream, mais c’est aussi sa grande qualité : il expose toutes les facettes de Nick Cave. Mélodique, orchestré, riche en cordes et en orgue, flirtant avec le mélo, mais bien trop brut pour y sombrer, il est aussi l’un de ses albums les plus accessibles. Un disque mineur pour le chanteur, peut-être, mais un grand disque quand même, et une porte d’entrée idéale vers l’œuvre parfois ardue du ténébreux Australien, pour qui n’a encore jamais osé s'y perdre.

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