Apparu dans le sillage d’Ice T et de son Rhyme Syndicate, Divine Styler avait sorti au tournant des années 80 et 90 deux disques particulièrement notables, l’excellent Wordpower, puis l’ardu Spiral Walls Containing Autumns of Light. Et puis après plus rien, pendant près de dix ans, la faute à une plongée sordide dans la drogue, puis à une phase mystique au cours de laquelle il avait entrepris un pèlerinage à la Mecque. Entretemps, bien sûr, son nom avait sombré dans l’oubli, si ce n’est auprès d’une poignée d’acharnés résolus à en faire un artiste culte, au point de nommer un fanzine hip-hop du nom de In Search of Divine Styler.
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Au milieu des années 90, son rap abscons, lointain descendant de l’afro-futurisme de Sun Ra et de George Clinton, était en fort décalage avec les outrances matérialistes du gangsta rap et la sobriété sèche du hardcore new-yorkais, alors en vigueur. Cependant, à la fin de cette décennie, le paysage musical changerait encore, et avec l’apparition du rap sombre et post-apocalyptique des gens d’Ozone (Company Flow, Anti-Pop Consortium, Mike Ladd), du hip-hop mutant et abstrait de DJ Shadow et des gens de Solesides, et plus généralement avec l’émergence du mouvement hip-hop indé, la période semblait propice à un retour du rappeur maudit. D’ailleurs, l’un des albums underground les plus en vue en 1998, le 2000 Fold des Styles of Beyond, n’était-il pas sorti sous la protection du vieil ami de Divine Styler, Bilal Bashir, dont le petit frère était par ailleurs membre du duo ?
Divine Styler lui-même apparaissait sur cet album. Au même moment, c’était un autre compère, Everlast de House of Pain, qui l’invitait sur son Whitey Ford Sings the Blues. Les signaux se multipliaient donc, qui montraient que le rappeur pouvait refaire surface et réclamer son dû. Et cela allait se traduire par une sortie chez ces experts en hip-hop bizarre et déviant qu'étaient nos amis anglais de Mo’Wax.
Comme le nom l’indiquait, ce nouvel album voulait reprendre les choses là où Wordpower les avaient laissées. Certes, le bonhomme avait changé. Plutôt que de souligner son engagement Black Muslim par quelques "Allah" lancés ici ou là, il rappelait qu’il avait été transformé par son passage à La Mecque, en ouvrant l’album par le long chant d’un muezzin ("The Ahdan" ; effet garanti sur les voisins, j’ai testé pour vous). Et puis bien sûr, puisque c’est cela qui était de mise, il forçait sur l’aspect le plus sombre de son rap, avec des instrumentaux oppressants, une voix pleine de distortions, et des titres qui n’étaient pas sans rappeler ceux des Styles of Beyond, d’ailleurs présents ici. Mais en dehors du titre, il y avait aussi de nombreux retours vers le premier Wordpower. Par exemple "Directrix", le titre le plus efficace de ce nouvel album, reprenait un instant le redoutable gimmick de "Ain’t Sayin’ Nothin’", le tube du premier. Quant au ragga "The Grand Design", il rappelait les incursions jamaïcaines de "In Divine Style" et du sublime "Rain".
Toutefois, ce titre n'aurait pas l’impact des deux autres. C’était d'ailleurs vrai pour l'ensemble de l’album : il n'était jamais vraiment à la hauteur de ses ambitions, en dépit du renfort occasionnel de DJ Rhettmatic, et malgré ces modèles de rap rêche et étouffant qu'étaient "Oneself Duel", "Microphenia" et "Hajji", malgré encore l'excellent "Directrix" cité plus haut. C’est le problème avec les visionnaires : avant, c’est trop tôt ; et après, quand leurs idées sont à l’ordre du jour, leurs œuvres peinent à se distinguer des sorties quotidiennes, du bruit ambiant. Finalement, ce disque décevant, qui a vite encombré les bacs des soldeurs, n’a eu qu’un mérite : celui d’avoir indiqué à la nouvelle génération que dix ans avant Wordpower 2, il y avait eu un autre Wordpower, infiniment plus marquant.