Californie, tournant des années 80 à 90. En cet endroit, à cette époque, George Clinton était partout. Des rappeurs d'obédience gangsta au truculent Del, tous semblaient puiser leurs samples et leur inspiration sur les mêmes disques de Parliament et de Funkadelic. Depuis leur bonne ville d’Oakland, leurs voisins de Digital Underground n’étaient pas en reste. Ceux-là allaient même plus loin : plutôt que de transformer le p-funk en autre chose, ils poursuivaient son histoire, ils l’actualisaient à l’ère hip-hop, en proposant une sorte de version rappée.
Avec leurs guitares sexy ("The Way We Swing") ou sautillantes ("Rhymin' on the Funk"), leurs cuivres rutilants ("The Humpty Dance", "Packet Man") et leurs basses rondes et proéminentes (partout...), Shock G, Money B et les autres ne se contentaient pas de pomper les sons du père Clinton, ils en adoptaient aussi l’attitude, la pose festive, l’humour délirant et l’imagination débordante. Bref, ils en respectaient l'esprit tout autant que la lettre. Témoins les alter egos de Shock G, comme ce Humpty Hump à faux-nez et aux rodomontades macho, ou encore le concept au cœur même de Sex Packets, cette histoire de pilule censée déclencher un puissant orgasme en solitaire. Pour preuve aussi ces postures et ces fringues fantaisistes. Et puis bien sûr, cette musique joyeuse, hédoniste, qui avait accouché des tubes "Doowutchyalike" et "The Humpty Dance", et qui en révélait d'autres encore le long de cet album ("Gut Fest '89").
C’est qu’elle était réjouissante, cette formule à base de p-funk, où le thème du ghetto n'était entrevu que le temps du très noir "Danger Zone". Et si, contrairement à celle de ses contemporains plus hardcore et plus gangsta, elle n’a pas vraiment survécu (sinon dans un certain party rap avide, comme Humpty Hup, de bimbos et de festivités nouveau riche), si elle réinvestissait le passé plutôt qu'elle n'annonçait le hip-hop du futur, laissant même le chant remplacer le rap sur le titre "Sex Packets", son funk élastique faisait toujours mouche.
Les paroles étaient tout aussi percutantes, avec leur humour potache et leur sens de l'absurde. Après avoir invité tout le monde à faire ce qu’ils voulaient, Shock G décidait soudainement de faire une exception pour ceux dont l’hygiène du pied était douteuse ("Doowutchyalike"). Ailleurs, c'est une pieuvre qui jouait au DJ avec neuf platines sur l'extravagant "Underwater Rimes", une sorte de "Rock Lobster" hip-hop. Et puis, bien sûr, il y avait le sexe, abordé sur un mode tout aussi léger et humoristique, mais omniprésent, thème principal d'une bonne moitié des titres, jusqu'au paroxysme de "Freaks of the Industry", avec ses samples de l'orgasmique "Love to Love You Baby" de Donna Summer, ainsi que d'autres feulements féminins.
S’il bénéficie du statut de classique du hip-hop, Sex Packets n'est pourtant pas irréprochable. Conçu pour faire durer la fête, chaque titre de cet album approche les six minutes, mais le beat s'avère parfois trop maigrichon pour accompagner si longtemps les divagations de Shock G ("The Way We Swing", "Danger Zone"). Quant à ce dernier, il s’oublie un peu, il se laisse entraîner dans ses délires. Enfin, comme beaucoup d’autres disques drôles et futés, bref, trop intelligents, celui-ci n’a ni l’impact, ni le pouvoir immersif d’un gangsta rap radical et bas-du-front. Mais tout de même, aujourd’hui encore, Digital Underground mérite d’être célébré pour bien davantage que d’avoir permis à un certain Tupac Shakur de faire ses débuts dans le rap.
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