Shape of Broad Minds, Craft of the Lost Art... Excusez du peu. Le nom, le titre, la pochette même, tout ces mots et cet attirail ronflants le laissent penser, la sortie chez Lex est un autre motif de crainte, l'écoute le confirme. Il s'agit là, malgré quelques bons moments, d'un faux bon disque, de hip-hop prétentieux et mensongèrement ingénieux, au paroxysme de sa regrettable phase "progressive".
Lex Records :: 2007 :: acheter ce disque
D'abord, il y a ce CV, destiné à assurer avant tout jugement une top crédibilité, cette façon de dire aux gens : "soyez rassurés, vous n'aurez même pas à risquer quelque avis que ce soit, avant même que vous l'ayez écouté, vous savez que ce disque sera bon". Cette première fausse garantie, c'est Lex, l'ex (ah ah) division rap de Warp. Ensuite, il y a Jneiro Jarel, un type de New-York, LA ville du hip-hop, repéré par Hank Shocklee, producteur de Public Enemy, et qui, tel Ulysse, a entrepris un beau et long voyage auprès des principales scènes hip-hop d'Amérique, et en est revenu avec autant de pseudos que de villes visitées : Dr. Who Dat? pour Philadelphie, Jawwaad pour Houston et Rocque Wun pour NYC.
Tous ces alias se sont réunis au sein de Shape of Broad Minds pour un album concept top moumoute, avec en plus la participation de MF Doom, un rappeur devenu, malgré tout le respect dû à son talent, la marque de bon goût des gens qui n'en ont pas. Je m'étonne d'ailleurs de ne pas voir Madlib. Count Bass D, ça porte quand même moins loin. Sur ce disque, le hip-hop est la matrice, mais il y a aussi beaucoup d'autres choses, comme cette intro rock et cet esprit très jazz (ah, le jaaaaazz...). Il faut aussi mentionner la pochette, belle, chiadée, élaborée, y a pas à dire. Avec tout cela, vous avez toutes les fausses garanties rassurantes attendues, un peu comme une boîte du CAC 40 qui recruterait les yeux fermés un Polytechnicien polyglotte, féru de parachutisme et volontaire chez Emmaüs, sur la seule foi d'attributs qui ne diront jamais rien de ses compétences réelles.
Mais il faut tout de même savoir écouter des disques, ça peut éviter de dire des bêtises et de perdre son argent ; ou 100 MO sur son disque dur, selon. Et là, force est de constater que sur ce Craft of the Lost Art, il y a peu à se mettre sous la dent. On y trouve beaucoup de pyrotechnie, des instrus tournoyantes et virevoltantes, des effets façon "hé t'as vu l'effet, mec" (les accélérations du "Let's Go" avec MF Doom), une liberté formelle qui pourrait faire croire qu'elle est là pour quelque chose, etc... Mais tout ça (désolé au passage de ne pas partager avec vos anciens profs formés dans les années 70 leur détestation de l'utilitarisme), ne sert à rien. C'est vain, ça n'a d'autre but que d'impressionner les petits mickeys.
Certes, il ne faut pas donner dans l'excès et charger la barque plus que de raison. Ceci n'est pas pour autant un mauvais disque. J'ai bien dit : ce N'EST PAS un mauvais disque. Pas tout à fait. Il a ses moments, les voix de "Changes" par exemple. "Electric Blue" est tout bonnement beau, et subtil, pour le coup. Les envolées de synthétiseur de "Buddafly Away" et de "Beast from Da East" font impression, ainsi que le vindicatif "So Much" avec Lil' Sci et le chant de "12C". Ce serait malhonnête de le nier. Et malhonnête, ici, on se défend de l'être.
Mais au total, tout cela contente surtout ceux qui voudraient aimer un genre, le rap, qu'ils ne supportent pas. Ou, au contraire, ça satisfait ceux qui l'appréciant, aiment quand il cherche à se rendre respectable, à force de recherche et de sophistication. Ces deux camps se retrouvent parfois autour d'un MF Doom et d'un Antipop Consortium, au mieux, ou, au pire, autour des trucs les plus soporifiques de Jay-Dee et de Madlib. Bref, Shape of the Broad Minds, c'est du prog rap, dans le pire sens du terme, avec toute la vanité qui va avec, et tout le champ lexical : "shape", "broad minds", "craft, "lost art", rien que ça, ah ah, excusez du peu.
Là-dedans, tout pue la pompe et la prétention. Au final, ça n'est qu'un disque typique de ces machins hip-hop informes dont raffolent les Anglais, un bidule pour les gosses qui veulent grandir, une chose pour les naïfs, pour les pas sûrs d'eux, pour tous ceux qui cherchent si ardemment et désespérément le confort de la certitude. C'est pour les fats en quête d'une "musique de qualité", et qui au bout du compte, ne sont pas différents de ceux qui pontifient sur la teneur poétique du slam d'Abd Al Malik. Ce sont les mêmes qui s'enflamment sur les albums solos ratés d'El-P, ces gens qui, de tout temps, en tous lieux, ont toujours eu tout faux, auront toujours tout faux, resteront ad vitam aeternam dans le mauvais camp.
Mais si l'on dénude le roi, si l'on écoute ce disque la tête froide en n'y cherchant rien d'autre qu'un bête plaisir musical (désolé d'aimer les plaisirs simples), Craft of the Lost Art se révèle globalement nul et non avenu. Allez, baudruche suivante.
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