L'importance de Beneath the Surface est d'abord historique. Apparu il y a pile dix ans, découvert pour beaucoup sur l'un de ces sites de téléchargement, précieux quoiqu'illégaux, où se trouvent alors les disques de MF Doom, de Non-Phixion et les premières compilations Anticon, ce disque est l'un de ceux qui préparent l'avènement du rap indé à la fin des années 90. Il en révèle le pan californien, cette scène qu'il deviendra coutumier d'appeler le West Coast Underground.
Les rappeurs présents ici ne sortent pas de nulle part. Trois ans après la sortie de la mythique compilation du Project Blowed, Beneath the Surface en est la suite, en quelque sorte. On retrouve pour partie les mêmes, comme Ellay Khule, et surtout les parrains de cette scène, des Freestyle Fellowship au faîte de leur savoir-faire sur l'excellent "When The Sun Took A Day Off And The Moon Stood Still".
Mais ce nouveau disque dévoile dans le même temps une deuxième ou troisième génération de cette scène issue du Good Life Café. Une scène qui, bientôt, dans les années 2000, fera les beaux jours de l'underground californien.
Sorti sur le défunt label de Daddy Kev, ce disque à la pochette chatoyante signée Mear One joue le rôle premier d'une compilation : il révèle les incroyables talents rassemblés dans ces groupes et collectifs obscurs que sont alors Afterlife, le Hip Hop Kclan, les Shapeshifters, Of Mexican Descent et Global Phlowtation. C'est sur ce disque que beaucoup entendent pour la première fois la voix chaude et erratique d'Awol One, sur "Little Piece of Heaven", le flow rapide de Radioinactive, qui imite ici une chèvre sur un titre inspiré du Animal Farm de George Orwell ("Farmers Market of the Beats"), ou Circus, qui se lance dans son numéro de nerd habité sur l'orgue suintant de "Night and Day".
Ici, le gros Xololanxinxo, appuyé par quelques autres, montre déjà sur le magnifique "Who's Keeping Time" un goût pour le guitar rap qu'il ne démentira ni avec Of Mexican Descent, ni avec Toca. Beneath The Surface est aussi une nouvelle occasion d'être impressionné par le flow d'Ellay Khule sur un "Sunny Side Up" auquel le producteur offre une ambiance en contrepoint, crépusculaire et diaphane.
Le deuxième tour de force de cette compilation, c'est qu'elle n'en est pas tout à fait une. Qu'en plus de servir de détonateur et de révélateur, elle a une valeur en soi, et qu’elle s'écoute aujourd'hui encore avec le même plaisir qu'autrefois. Qu'elle est fournie, mais que les longueurs y sont rares. Qu'elle est davantage un album qu'un assemblage disparate de titres et de talents. Et cela parce qu'elle est d'abord l'oeuvre d'un homme, Omid Walizadeh, alias O.D., l'un des beatmakers les plus brillants de cette scène californienne.
Omid fait de cette compilation une oeuvre musicale, avec sa palette de sons allant des chants indiens de "Beneath the Surface" à la sunshine pop de ("When The Sun Took A Day Off...", lorgnant vers la world music (les sitars et les percussions de "Hazardous Curves") autant que vers le easy-listening. Le producteur sait se contenter d'une boucle toute bête ("BustMustJustUs"), mais il livre le plus souvent un ouvrage finement ciselé, dont la harpe du "(In)sense" de Vixen, Slant & Puzoozoo Walt, et les violons du "For Her Souly, Slowly, Solely" de H.I.M.N.L. & Tyliana, sont les sommets.
Entre les mains d'Omid, Beneath The Surface fait preuve d'une élasticité contraire à la sobriété, à la noirceur et à l'austérité des productions new-yorkaises. Leur plasticité est identique à celle des raps qu'elle accompagne, une plasticité déjà latente sur les productions Project Blowed précédentes, mais que le beatmaker pousse ici au paroxysme, livrant du même coup l'un des tout meilleurs disques de cette scène.
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