Alleged Legends est sorti au meilleur moment de l'histoire de Peanuts & Corn, dans ces années 1999 à 2003 où le modeste label du Manitoba sortait gemme sur gemme. Pourtant, le producteur Mcenroe n'était pas aux manettes pour cette fois, et les deux protagonistes de l'album n'étaient même pas membres de Break Bread, le collectif au cœur de ce label. Ils venaient d'autres terres canadiennes.
Peanuts & Corn :: 2001 :: acheter cet album
C'était en effet DJ Moves, l'autre meilleur beatmaker canadien (quand il fait l'effort de se concentrer) qui avait la tâche d'habiller le timbre singulier et le ton à la fois direct et narquois de Birdapres (prononcez Bird-Uh-Prey, comme avec le mot français "après"), un rappeur de Colombie Britannique lié à d'autres grands noms de l'indé, canadiens (Moka Only, Prevail des Swollen Members), ou pas (les Styles Of Beyond). Cependant, sur cette collaboration transcanadienne entre Dane Goulet, le MC de Vancouver et, Brian Higgins, le DJ d'Halifax, la touche était similaire à celle des autres bons disques que sortait le label rap underground le plus constant de ces années-là : ensemble, Moves et Birdapres revisitaient en effet le jazz rap new-yorkais, et mêlaient au tout des propos parfois engagés.
Sur ce disque, comme sur d'autres du même label, un rappeur sage s'exprimait sur des boucles simples, répétitives et dépouillées. Mais parce qu'il savait varier son flow et l'adapter adroitement au sens des textes, parce que ces paroles mêmes étaient malines, que la production jouait habilement d'ajouts astucieux et de variations pertinentes, de ruptures subites et bien senties ("Opposite Angels" était un modèle du genre) et qu'elle tentait bien plus de chose qu'elle en avait l'air avec ces titres tout en percussions qu'étaient "Bird Is…" et "The Alibi", la vieille formule était renouvelée, appliquée avec un talent authentique, parée d'une nouvelle pureté virginale. Tout fonctionnait encore comme la toute première fois.
Alleged Legends n'était fait que de bons titres, au premier rang desquels cet admirable "Commies" où Birdapres, dont les grands-parents avaient été des Rouges, rappelait que le communisme avait représenté autrefois bien autre chose que l'Empire du Mal. Tout au long de l'album, à une époque où l'expérimentation à tout va était de mise dans l'underground hip-hop, Moves et Birdapres rappelaient que les évolutions sont souvent plus efficaces que les révolutions, que le génie et que l'originalité résident bien souvent dans la subtilité plutôt que dans le clinquant.
ça fait 6 ans, les goûts ont changé, mais j'adore cet album.