Nous étions en l’an 2000. C’était l’époque de la bulle Internet et l’âge d’or du rap de nerd. Dans la foulée du label Anticon, apparaissaient sur le Web toute une myriade de rappeurs blancs amateurs. Leur recette de base, c’était soit du rap "conscient" et intello, soit ces paroles introspectives dont Slug d’Atmosphere était devenu à son corps défendant le grand inspirateur, le tout agrémenté de beats finalement assez conformistes malgré la noirceur et les bizarreries électroniques d’usage. Pour tous ces gens, le média phare était un webzine bien sûr, et il s’appelait Hip Hop Infinity. La majorité des artistes défendus sur ses pages étaient mauvais et maladroits, ce qui ridiculisait le ton souvent professoral des articles. Mais parfois, le magazine savait dénicher tel ou tel rappeur du gouffre, dont le talent l'extirpait de ce brouet.
A la fois rappeur et producteur, soso (son pseudonyme s’écrit usuellement sans majuscule) fut de ceux-là. De prime abord, rien ne distinguait Troy Gronsdahl de ses pairs. Issu de Saskatoon, dans les prairies canadiennes, il penchait lui aussi vers la confession et l’intimisme, ses beats étaient sombres et tristounets, il avait une bonne tête de blanc-bec, et bien sûr, il semblait ne devoir exister que sur Internet. Il allait d’ailleurs y monter une boutique (Phonographique), y côtoyer les gens d’un autre webzine dédié à ce type de musique (Underground Sounds) et y gérer un label abritant quelques autres rappeurs de son espèce (Clothes Horse Records).
Cependant, soso faisait preuve d’intelligence et de personnalité. Parlées plus que rappées, ses paroles étaient graves et intimes, elles évoquaient la mort, l’avortement et l’alcoolisme, mais elles ne versaient jamais ni dans la pédanterie, ni dans le ridicule, même si elles les frôlaient parfois dangereusement. Et si sa musique restait formellement du rap, avec ses boucles, ses rythmes heurtés et ses scratches. Elle prolongeait aussi la beauté sèche d’un certain folk canadien, de par son dépouillement et ses sons de guitare acoustique. Elle inventait un nouveau style, plutôt que d’abâtardir encore un genre ancré dans les musiques noires.
SOSO - Sour Suite (2000)
Le premier EP de soso était en phase avec le nerd rap de l'an 2000. La musique s’y étirait parfois jusqu’à l’ennui, le ton était lourd et sentencieux, par exemple sur "Blessed", un hommage au père tel qu'Atmosphere avait pu le faire trois ans avant sur "Caved In". Mais déjà, sur un titre comme "Drink", s’entendaient la justesse de ton et le dépouillement éloquent de ses sorties à venir.
EPIC – 8:30 in Newfoundland (2001)
Sur cet album, soso ne rappait pas. Il se contentait d’offrir ses sons à son compère Epic, l’autre rappeur de Clothes Horse, dont le phrasé, les facéties et l’autodérision se rapprochaient davantage du rap habituel que le spoken word de soso. Cependant, les beats lents, nus et minimaux du producteur s’adaptaient aussi bien à la fausse ingénuité d’Epic qu'à ses propres paroles.
SOSO - Birthday Songs (2002)
Avec cette deuxième sortie solo, soso confirmait. Le thème principal était la mort, son spoken word était plus affecté, les beats atteignaient des sommets d'épure (presque une seule note sur "For Ruby"), le finale ("We always Thought she'd be the First to Go") était anthologique, même si soso modérait toute cette noirceur par un brin d’autodérision ("Dyke Look"). Son premier grand disque.
EPIC – Local Only (2004)
Le deuxième soso était supérieur au précédent. Il en est de même du second album d’Epic. Formellement très proche de 8:30 in Newfoundland, Local Only était plus abouti, tant dans les raps pince-sans-rire du MC quadragénaire, que par les beats sur l’os de soso, secondé cette fois par d'autres producteurs. Assurément, l’un des trois ou quatre indispensables de Clothes Horse Records.
SOSO - Tenth Street & Clarence (2005)
Avec ce disque sorti trois ans après Birthday Songs, soso le producteur a pris soin de peaufiner ses instrumentaux. il a construit de vrais soundscapes, plus dépouillés, mortifères et contemplatifs que jamais, pour habiller des paroles pleines de pathos, mettant en scène une vie triviale et dépressive dans le Grand Nord canadien. S’il n’est le meilleur, cet album est en tout cas son plus soigné.
SOSO - Birthday Songs (2006)
En 2006, la première version de Birthday Songs était épuisée. Mais ces incroyables passionnés que sont les Japonais (et plus particulièrement Shin Ohsaki, du label Hue), ont eu la bonne idée de la rééditer dans une version plus élaborée, y ajoutant deux grands titres presque inédits. Ils livraient ainsi la version définitive de cette sortie, peut-être la meilleure de l'oeuvre de soso.
RECYCLONE & SOSO - Stagnation and Woe (2006)
En 2006, soso produisait le nouvel album de Recyclone, semi-légende de la scène d’Halifax. Cette fois, pour offrir aux raps hallucinés, pessimistes et apocalyptiques de ce collaborateur les sons de circonstance, soso rendait ses beats plus abrasifs et dérangeants que par le passé. Le résultat était inégal, mais aboutissait à quelques pièces d’anthologie comme "Gearbox Therapy".
SOSO - Bachelor’s Drinking Club (2007)
Du fait de sa musique minimaliste et introspective, soso n'est pas une bête de scène. Aussi, ce live avec le rockeur Maybe Smith était-il un peu statique. Mais il avait eu la bonne idée d’agrémenter ce court film par la vidéo du magnifique "Hungover for Three Days Straight" et par les prestations de rappeurs moins réservés que lui, comme Pip Skid, Gruf, Bleubird et l’inénarrable Thesis Sahib.
SOSO - Tinfoil on the Windows (2007)
Avec ce solo ambitieux, le premier à sortir ailleurs que sur son label, soso s’offrait un son rock. Son talent était intact, ses paroles et son ton restaient les mêmes, mais ils se perdaient dans les méandres des guitares de Maybe Smith, à tel point qu’on regrettait les beats épurés d’avant, malgré des pièces de choix comme "Company of Chairs", "One Eye Open" et "For a Girl on a Faraway Hill".
SOSO - Not for Nothing (2013)
Preuve de la cote d'amour de soso en notre pays, que nous avons encouragée, c'est sur un label basé à Clermont-Ferrand que le Canadien est réapparu après une longue absence. Et il s'y montrait à nouveau au sommet de son art, revisitant avec beaucoup de réussite les paysages sonores sinistres et les paroles pleines de désespoir qui ont formé l'ossature de ses meilleurs albums.
Il manque à cette liste Poor Man's Survey, une collection d'instrumentaux de 2004, ainsi que All They Found Was Water At The Bottom Of The Sea, une collaboration avec DJ Kutdown sortie en 2009. Nous en parlerons également, en temps voulu.
Exercice intéressant. Même si - pour le coup - je me fous de soso.
Oui bonne initiative, d'ailleurs ça me donne envie de réecouter les anciens et le Recyclone & soso (album que j'ai le moins écouté de CHR).
Je m'y mets de suite tiens.
Je compte faire de plus en plus ce genre d'articles, maintenant que ce site a 10 ans et qu'il a tout le background nécessaire.
Quand au fait de se foutre de soso, eh bien, que dire ? Que ça va avec le fait de préférer Situation à Secret House Against the World en fait.
Je vais réécouter Secret House.
Mais tu me parles pas comme ça.
Bonne idée de faire des discographies sélectives comme celle ci.
Soso est un des premiers artistes à m'avoir permis d'écouter du rap, après le Wu Tang. (Oui, je sais Damien, rien à voir !).
Par contre, cliquer sur lien "Acheter" de Sour Suite ne me permet toujours pas de trouver ce disque...
En fait, Sour Suite n'existe plus en dur. Je crois cependant me souvenir que soso l'a mis à disposition en téléchargement gratuit, mais je ne me souviens plus de l'endroit.