C’est une histoire habituelle, chaque fois qu'un groupe du passé revient à la surface. Remis au goût du jour par une poignée d’aficionados influents, des artistes qui s’étaient perdus de vue se retrouvent après plusieurs décennies. Ils se souviennent alors qu’ils ont un passé commun et décident de recycler de vieilles bandes qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion de sortir. C’est précisément ce que Danny Taylor et Simeon Coxe firent à la fin des années 90. Avant de se lancer dans des inédits, ils dénichèrent quelques enregistrements anciens au fond du grenier de Taylor, mirent tout cela au propre, l’agrémentèrent de quelques nouveaux sons et l’assemblèrent sur un album sorti en 98 sur Whirly Bird. Celui-ci fut alors présenté comme le troisième Silver Apples, celui que le duo n’eut jamais l’occasion de porter au grand jour faute de succès commercial. Huit ans après, ce disque maudit était déjà épuisé et devenu un collector. Mais c’était compter sans Bully Records. Le label montréalais de hip-hop instrumental, dont Sixtoo fait plus ou moins office de directeur artistique, a voulu montrer à son tour l’ampleur de sa dette envers le duo new-yorkais et ressortir The Garden sous son propre logo.

SILVER APPLES - The Garden

C’est qu’il est bien, ce disque. Ce ne sont pas que de vagues rebuts sans intérêt assemblés à la va-vite dans le but de contenter quelques fans transis. The Garden est vraiment un album, il est de bon niveau, il mérite autant le détour que ses prédécesseurs. Mais il est différent, moins linéaire, plus éclectique. Parce qu’il contient des titres issus des différentes époques des Silver Apples, il y a vraiment de tout passé "I Don’t Care What the People Say", un premier morceau sautillant dont l’intitulé sonne comme un manifeste pour ce duo qui n’en a toujours fait qu’à sa tête. Sur The Garden, il y a de la musique de foire ("The Lady and the Clown", une reprise de "Mustang Sally") et de l’orgue de Barbarie ("The Owl"), un "Mad Man Blues" possédé qui annonçait déjà Alan Vega, un "Again" qui sonne comme du Byrds cuisiné à la sauce futuriste, et un banjo sur "John Hardy", en écho aux titres vaguement country qui étaient déjà sur Contact. Et puis il y a aussi des instrumentaux tout en rythmes sophistiqués et en dissonances, ces "Noodle" tirés de vieux solos de batterie et enrichis par Simeon de quelques sons plus récents.

L’album est plus hardi et plus éclaté que ceux d’avant. Le minimalisme hypnotique des sorties précédentes est très en retrait. Et c’est peut-être le seul regret. Paradoxalement, ce disque assemblé en 1998 semble plus ancré dans les années 60 que les deux autres. Il est davantage dans l’esprit du rock jazzy et psychédélique de mise à l’époque, moins en avance sur son temps. Et il lui manque aussi quelques traces de génie, un "Oscillations", un "Lovefingers" ou un "I Have Known Love", par exemple. Tout juste "The Lady and the Clown" se distingue-t-il du lot, mais pour des motifs bêtes comme chou, du seul fait de sa ritournelle entraînante. Plus créatif, mais curieusement moins original et moins fascinant, The Garden n’en est pas moins le complément indispensable des deux albums d’avant, le chaînon manquant d'une suite de disques inséparables, l’ultime volet d’une jolie trilogie.

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