Parmi les indispensables qui se sont enchaînés chez Peanuts & Corn entre The Ethics EP et l’ultime Disenfranchised, le premier album de Gruf figure en bonne place. Après s’être illustré avec le groupe Twisted Spirits, son successeur Frek Sho, puis enfin (et surtout) Fermented Reptile, le rappeur chauve aux origines amérindiennes propose en 2001 un autre de ces albums solo solides et consistants sortis chez les Canadiens, un autre de ces disques jamais franchement originaux mais infiniment personnels, tous produits de main de maître par un Mcenroe au plus fort de son inspiration.
C'est une règle quasi universelle : l’alchimie, l'entente parfaite entre un rappeur et son beatmaker est le secret des meilleurs disques de rap. Or rarement, même chez Peanuts & Corn, elle n’a aussi bien fonctionné que sur Druidry. Avec une grande retenue, Mcenroe sort ses sons les plus calmes et les plus subtils, basses profondes, percussions pertinentes, cordes pénétrantes, saxophone ouaté, piano impressionniste, délicatesses jazzy, pour accompagner les pensées déclamées d'un ton clair et serein par Gruf the Druid.
Certes, c'est du "rap conscient" et du quasi spoken word. Certes, le rappeur n’échappe pas au syndrome Lilian Thuram, celui du type qui pontifie et qui s’improvise sage sans en avoir ni le bagage, ni les moyens. Par ailleurs, il jongle avec des théories à fort risque de dérapage, comparant droits humains et droits des animaux, ou opposant à la théorie de l’évolution celle de la génération spontanée ("Age Of Ice").
Mais The Gruf ne s'aventure jamais au-delà de simples interrogations. Jamais il n'est définitif ni péremptoire, il ne faisait que penser à voix haute, abordant des thèmes ô combien inhabituels, même dans le petit monde du rap intello. S’inventant druide moderne et rappeur écologiste, il rappelle le tribut que les hommes doivent aux végétaux ("The Plants"), se lance dans des histoires de transmutation ("Awakening") qui sentent bon le shamanisme, s’interroge sur les OVNI ("Trust your Senses") et il aborde la question de la peine de mort du point de vue du condamné ("Payday").
Si Druidry comprend peu de titres saillants, hormis peut-être le singulier et presque ambient "Tooth And Nail", "Payday" et sa mandoline, ainsi que le somptueux "Awakening", chacun de ses raps denses et limpides dispense un plaisir suave et durable, faisant de l'album un grand disque Peanuts & Corn, et par ce fait l’un des indispensables du rap indé.
Amusant que tu chroniques ce disque maintenant, je l'écoutais justement hier soir. Et toujours un plaisir, McEnroe effectivement subtil, et Awakening effectivement somptueux... Cet album a beaucoup de charme.